Le réaliste dans son piège
L’Amérique ne laissera pas l’Afghanistan tomber dans les mains des islamistes. Donald Trump a pris son air le plus solennel, dans la nuit de lundi à mardi, pour annoncer son renoncement à l’une de ses marottes politiques: le retrait des boys engagés contre les Talibans.
Le geste est fort. Avant même de rêver de Maison-Blanche, l’homme d’affaires républicain claironnait en février 2012 qu’il était «temps de quitter l’Afghanistan». «Nous construisons des routes et des écoles pour des gens qui nous détestent», regrettait-il dans un tweet.
Depuis, Barack Obama a poursuivi sa politique de retrait, mais sans parvenir, lui non plus, à l’objectif fixé. Le démocrate, qui avait déserté l’Irak avant d’y revenir en catastrophe, a finalement laissé quelque 8400 militaires en appui aux troupes de Kaboul encerclées par les dizaines de groupes djihadistes qui infestent l’ancien cimetière de l’Armée rouge.
Pour donner le change, M. Trump a sermonné le Pakistan voisin et averti Kaboul que le renforcement de la présence US, non encore précisément connu, n’était pas «un chèque en blanc». Des moulinets avec les bras, quand on sait la soumission des gouvernements successifs afghans à l’égard des USA! Et aussi l’incapacité des GI’s, eux-mêmes, à réduire les poches de résistance islamiste au Pakistan malgré les milliers de drones lancés contre elles.
A Washington et ailleurs, les commentateurs ont pour la plupart applaudi la conversion de l’administration Trump au «réalisme», lisez: à l’interventionnisme militaire. La volte-face est pourtant, bien au contraire, le signe de la faillite de ce modèle néocolonial. Au mythe de l’intervention armée rapide et efficace permettant de modifier un contexte politique défavorable, la réalité répond par des bourbiers politico-militaires devenus presque impossibles à quitter.
Près de seize ans après la triomphale opération «Liberté immuable» de George W. Bush, le tiers du territoire afghan est en guerre et les Talibans ont été rejoints sur le terrain par le groupe Etat islamique. Le constat peut s’étendre à d’autres territoires. L’Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen et le Pakistan, déstabilisés par l’intervention de puissances étrangères, ont vu s’enkyster ces guerres d’influence. Même le Mali, qu’on cite volontiers en intervention modèle, ne résisterait probablement pas au départ de la force française.
A M. Trump, qui peine à comprendre la haine que sa nation suscite malgré les milliards de l’aide au développement, il faut peut-être rappeler que les guerres d’Irak, d’Afghanistan et du Pakistan auraient provoqué quelque 370 000 morts directes et plus de 800 000 décès indirects en une quinzaine d’années1 value="1">The Costs of War Project de l’université de Brown, Rhodes Island, http://watson.brown.edu/costsofwar. Et que si Washington a bien versé quelque 200 milliards de dollars à la reconstruction de l’Irak et de l’Afghanistan, la facture sécuritaire et militaire est, elle, estimée entre 16002 value="2">Congressional Research Service, The Cost of Iraq, Afghanistan, and Other Global War on Terror Opera-tions Since 9/11. et 47003 value="1">The Costs of War Project de l’université de Brown, Rhodes Island, http://watson.brown.edu/costsofwar milliards de dollars. Que se serait-il passé si ces deux investissements avaient été inversés?
Notes