Sanction et dissuasion
Manifestation
Il ne fait pas bon manifester à Genève. Le service des contraventions vient une nouvelle fois de se faire rappeler à l’ordre par la justice. Vendredi, les amendes prononcées à l’encontre de sept manifestants anti-Erdogan, en janvier, ont été jugées illégales. En juin dernier, feu le militant Eric Decarro avait lui aussi été acquitté pour un rassemblement anti-TISA. Fin 2015, les sanctions à l’encontre des opposants au renvoi du jeune tchadien Ayop avaient également été annulées. La liste est fournie et pourrait encore s’allonger avec l’affaire des treize gardiens de la prison de Champ-Dollon, condamnés la semaine dernière à des amendes de 650 francs pour avoir manifesté sans autorisation.
A chaque fois, les autorités genevoises font preuve d’un zèle coupable pour punir les participants à des rassemblements qualifiés de «sauvages», bien que pacifiques. Des mouvements non autorisés, car il fallait légitimement répondre à l’urgence d’une situation – comme le renvoi imminent d’un requérant d’asile – ou ne pas se contenter de la discrétion d’un cortège cantonné à la place des Nations. Et même si les juges font leur travail en cassant ces sanctions, que de tracasseries pour les personnes qui ont osé s’exprimer en dehors des clous imposés par l’administration. Par ailleurs, de nombreux manifestants ne contestent pas leur amende. Dans notre République, la dissuasion est monnaie courante.
Dans son dernier rapport sur la Suisse publié le 24 juillet dernier, le Comité des droits de l’homme ne manque pas de consacrer un paragraphe entier à la politique de Genève en la matière. Les experts se disent «particulièrement inquiets du caractère excessif de la condition à satisfaire pour organiser un évènement collectif». La sanction encourue par les organisateurs d’un rassemblement non autorisé, pouvant aller jusqu’à 100 000 francs, y est pointée comme une restriction évidente du droit à la liberté de réunion spontanée.
Mais comme le démontrent les récents cas traités par la justice, la loi genevoise sur les manifestations n’est pas la seule à blâmer. La pratique de la police, guidée par son ministre Pierre Maudet, est très problématique. Peu importe que les amendes distribuées sans retenue soient cassées par la suite et que l’Etat doive assumer les indemnités et la surcharge de ses tribunaux, l’objectif est ailleurs. Chaque militant sait désormais que le simple fait d’être présent à un rassemblement illégal pourrait lui compliquer la vie et le mener devant les juges s’il se refuse à payer.
Vendredi, les avocats qui défendaient les manifestants anti-Erdogan ont été amenés à citer des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme rendus à l’encontre de la Russie et la répression de ses opposants politiques. Relevons que, sur le plan de la liberté d’expression, même si Genève n’est pas la Russie, toute comparaison avec le pays de Vladimir Poutine n’est guère flatteuse. I