Délit d’humanité
Fermer les yeux ou agir? Face à l’urgence de la crise migratoire, il est des mouvements citoyens qui se lancent, et refusent de se laisser enfermer dans une indolente fatalité. En France, l’agriculteur militant Cédric Herrou – et à travers lui l’association Roya citoyenne – fait indubitablement partie de cette catégorie. Arrêté pour la sixième fois depuis l’an dernier, il passera demain devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence après avoir été condamné en première instance à 3000 euros d’amende avec sursis. Son crime? Avoir aidé des migrants cherchant l’asile à traverser la frontière italienne depuis sa vallée enclavée en Italie. En août dernier, la justice n’avait pas donné suite, considérant son geste comme humanitaire «car bénévole».
Bénéficiera-t-il de la même mansuétude mardi? Rien n’est malheureusement moins sûr dans cette Europe qui se recroqueville sur elle-même, créant des lois et jurisprudences sur mesure pour se prémunir contre ce qu’elle a décidé de considérer comme un fléau à repousser plutôt que des appels à l’aide.
Nos gouvernements affirment que la barque est pleine? Des hommes et des femmes prouvent le contraire au quotidien par des permanences médicales ou juridiques, des aides alimentaires, des hébergements d’urgence… A leur niveau, ils pallient les faiblesses calculées de nos Etats dans l’accueil des réfugiés. Ces personnes, à l’instar de Cédric Herrou, se voient ensuite accusées de «favoriser l’immigration clandestine». De faire «appel d’air» face à la «vague de migrants». En Suisse, l’élue tessinoise Lisa Bosia Mirra a été condamnée pour les mêmes raisons, et ces discours s’entendent, ces jours, à l’encontre d’ONG comme Jugend Rettet actives en Méditerranée. Des mots savamment choisis pour déshumaniser, pour distinguer le «eux» du «nous», pour créer un état d’exception permanente à l’encontre des clandestins et de ceux qui les aident.
Au mieux, ils mènent à l’indifférence qui laisse périr ceux qui tentent la traversée. Au pire, ils peuvent conduire à des menaces directes, contre les réfugiés et ceux qui les protègent. A Nice, fief de Christian Estrosi (Les Républicains), une avocate spécialisée dans la défense des migrants (et des bénévoles comme Cédric Herrou), a reçu des lettres anonymes extrêmement violentes, menaces de mort directes. L’ordre des avocats a ainsi demandé aux autorités de rappeler la légitimité de l’action professionnelle des avocats. Un bon début, qui ne suffira pas à éteindre les braises ardentes du rejet et de la xénophobie. La meilleure riposte à ces déferlements de commentaires malveillants, de décisions politiques impitoyables ou d’arrestations injustes demeure les actes de résistance au quotidien.