Simone Veil: ne rien lâcher
Simone Veil est décédée. Certaines phrases claquent plus fort que d'autres, nous arrêtent dans notre course après le quotidien. Simone Veil n'est plus. Son nom résonne et, immédiatement après, c'est le nom d'un droit qui nous vient. Droit à l'IVG, à l'avortement, à disposer de son corps de femme.
Des figures telles que la sienne marquent définitivement les mémoires, essentielles sentinelles, qui veillent à ce que les voies ouvertes pour toutes ne disparaissent pas sous les coups de boutoir réactionnaires.
Simone Veil a marqué la politique française, à une époque où débutait à peine le combat pour démontrer que les femmes y ont toute leur place. Ainsi vont les droits des femmes: d'abord le devoir de prouver qu'elles sont légitimes à les exiger. Mettre le pied dans la porte. Lutter pour ne pas la voir se refermer. Faire ses preuves, sans cesse, malgré toutes les Simone Veil, toutes les Benoîte Groult, toutes les Simone de Beauvoir qui ont donné de la voix. Malgré toutes les anonymes qui, au quotidien, affûtent leurs armes contre le pouvoir à l'inertie infinie du patriarcat.
Les hommages pleuvent, sur les réseaux sociaux, à la mémoire de cette femme hors du commun, rescapée d'Auschwitz devenue combattante gaulliste. Européenne convaincue, farouche opposante au Front national, elle n'en restera pas moins une femme de droite qui se ralliera à Nicolas Sarkozy plutôt qu'à François Bayrou, en 2007. La tâche dans son propre camp ne lui a pas été rendue facile. Cible d'attaques haineuses par les plus conservateurs, elle a tenu bon comme l'a fait, quarante ans plus tard, Christiane Taubira au moment de défendre le mariage pour tous.
En France, une femme sur trois avorte au moins une fois dans sa vie. Un acte enfin possible après le célèbre discours de Simone Veil du 26 novembre 1974. Sensible, intelligent, vibrant en écho avec cette histoire partagée par tant de femmes, à travers les âges: «Et maintenant, qu'est-ce que je fais?»
Depuis des lustres, les gardes-chiourme du patriarcat se sont alliés pour boucher les horizons, pour limiter les réponses à cette question. Rappelons que la Suisse a attendu 2002 pour accepter à une nette majorité la «solution des délais». Enfin, trente ans après la France, les femmes avaient droit à douze semaines pour exprimer librement leur volonté, sans besoin de justifier ce choix intime face aux corps médical, politique, religieux ou familial. Un choix à mener pour soi-même d'abord, et à pouvoir partager avec le conjoint, trop souvent démissionnaire sur ces affaires-là.
Ce droit essentiel pour libérer le corps et l'esprit, doit bien entendu être mené de front avec les autres combats pour l'égalité et les droits des femmes. Travail, maison, politique, santé, économie… La meilleure façon de saluer la mémoire de Simone Veil reste de ne rien lâcher sur ces terrains, de poursuivre leur conquête avec autant de force et de dignité que son exemple nous en inspire.