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Une fièvre de rééditions spectaculaire

Disco libanaise, pop irakienne, funk marocain, rock progressif turc… Les trésors des swinging sixties et seventies orientales ressortent des cartons. Deux éditeurs passionnés de vinyle témoignent.
Une fièvre de rééditions spectaculaire 4
Abdou El ­Omari DR
Pop orientale

C’est un déluge de rééditions qui, depuis quelques années, fait revivre l’âge d’or «pop» du Moyen-Orient et du Maghreb – les années 1960 et 1970, quand régnait une certaine liberté de mœurs, avant le retour du fondamentalisme religieux. La fringale de labels défricheurs comme Habibi Funk (Allemagne), Radio Martiko (Belgique), Pharaway (Catalogne) ou Fortuna Records (Israël) surfe sur la vogue du vinyle avec ses belles éditions richement illustrées et documentées, abreuvant en sonorités inédites les DJ’s en quête d’exotisme et les collectionneurs mélomanes.

D’autres labels explorent les champs asiatique, latino-américain, caribéen ou sub-saharien. Ce travail est mené par des passionnés, globe-trotters et crate diggers (fouilleurs de bacs). Leurs modèles? Des pionniers comme Trikont, Soundway, Strut, Light in the Attic, Finder’s Keeper, Awesome Tapes from Africa ou Sublime Frequencies, qui ont œuvré à la lisière de l’ethnomusicologie et du plaisir pur.

Une fièvre de rééditions spectaculaire
Hisham Mayet, DJ et cofondateur du label Sublime Frequencies. DR

 

«Je suis un collectionneur compulsif, admet Hisham Mayet, cofondateur du label Sublime ­Frequencies, une référence en la matière. En trente ans, j’ai dû amasser 8000 vinyles et 3000 CD.» Documentariste et DJ étasunien d’origine libyenne, Mayet a rencontré il y a vingt ans les frères Alan et Richard Bishop, du groupe Sun City Girls. Des musiciens issus de la scène punk expérimentale, nourris aux sonorités orientales de leur grand-père oudiste libanais. En 2003, ­Sublime Frequencies voit le jour. Il édite aussi bien des field recordings (enregistrements de terrain) que des albums studio professionnels, si possible au son cru et sans apparat. Certains se sont très bien vendus: Omar Souleyman (Syrie), Bombino (Niger) et Group Doueh (Sahara occidental) jouent aujourd’hui dans les clubs et festivals du monde entier.

Farfisa «cosmique» d’Abdou El Omar

«La fièvre des rééditions a pris des proportions spectaculaires, difficile à suivre.» Hisham Mayet s’avoue peu enclin à la compétition, préférant creuser en profondeur le sillon artisanal et éclairé de Sublime Frequencies. Le psychédélisme oriental le séduit toujours, aux prix de quelques déconvenues, comme dans le cas d’Abdou El Omari, musicien à l’orgue Farfisa «cosmique». Un artiste en vogue il y a quatre décennies au Maroc, tombé depuis dans l’oubli: «En douze ans, je me suis rendu sept ou huit fois à Casablanca pour rencontrer le détenteur des droits de sa musique, sans succès.»

C’est Radio Martiko qui a décroché la timbale. Ce jeune label flamand basé à Gand vient d’éditer la trilogie des Nuits de printemps d’Abdou El Omari, dont un volume avec la voix de la diva Naima Samih. Une réalisation soignée qui dépoussière les pistes sonores et reprend trait pour trait le visuel d’époque, y compris la typographie très «variétés»… les coquilles en moins. «Ces disques sont fabuleux, s’enthousiasme Fred Kramer, fondateur de Radio Martiko, label aussi axé sur les styles populaires helléniques laïka et dimotika. Omari joue une fusion de rythmes répétitifs et d’orgue onirique noyé dans l’écho. Personne ne sonnait comme ça au Maroc à cette époque et, malheureusement, Abdou El Omari n’intéresse plus grand monde aujourd’hui.» Cela pourrait changer avec ces albums que les DJ’s se mettent à sampler et à jouer en soirée, affirme le boss de Radio Martiko. Assumant sa nostalgie pour les sons rétro à une époque de vitesse et de culture instantanément digérée, il relate la genèse du projet.

«C’est une histoire incroyable. Il y a quelques années, j’ai visité le magasin de Casablanca tenu par l’ancien patron des Disques Gam, éditeur d’Abdou El Omari. Un véritable musée rempli de trésors, la Mecque des collectionneurs de vinyle oriental.» Fred Kramer découvre alors Abdou El Omari, poète marginal et rêveur qui travaillait comme coiffeur, décédé en 2010. «Mais le détenteur des droits est un homme étrange, ombrageux, un dragon assis sur une montagne d’or! Il refuse systématiquement toute offre de réédition. Voyant qu’on connaissait notre sujet, il s’est détendu. On a parlé affaires et finalement signé un contrat.»

Gagner la confiance de ayants droit

La tâche de Fred Kramer s’apparente à celle d’un archéologue et d’un négociateur. «Quand on a trouvé son bonheur, le travail ne fait que commencer. Il est primordial d’aller sur place pour rencontrer les ayants droit et gagner leur confiance.» Il peut s’agir du producteur, de l’éditeur ou de la famille, les survivants d’un artiste disparu. «Il faut obtenir un maximum d’infos ­biographiques et de photos car une fois rentré, la communication à distance se complique.» ­Hisham Mayet le sait bien, lui qui a ­démarré avant internet, youtube et les réseaux sociaux. «Au début, je piochais à l’aveugle dans les bacs, j’achetais sur la base d’une simple pochette, ou par lots entiers. Parfois, on a un coup de cœur. Il m’arrive de réévaluer un disque qui m’avait laissé indifférent il y a vingt ans.»

Les gens comme Hisham Mayet et Fred Kramer ne roulent pas sur l’or. La réédition, à quelques rares exceptions près (les compilations grand ­public de Soul Jazz ou les fameuses Ethiopiques de Buda Musique) reste un dévouement destiné à une poignée de mordus. Sublime Frequencies et Radio Martiko pressent 1000 à 2000 vinyles par titre, auxquels s’ajoutent les ventes numériques. Quand on lui parle «exploitation d’un filon» – une critique parfois adressée aux labels de réédition –, Hisham Mayet rétorque que «le jeu n’en vaut pas la chandelle ­financièrement.» Il insiste sur le fait que son label paie scrupuleusement les droits et royalties aux artistes ou ayants droit.

Actuellement, il est tout entier absorbé par sa prochaine sortie, la plus ambitieuse à ce jour: un beau-livre de photos noir et blanc prises entre 1959 et 1978 par le compositeur et ethnomusicologue français Charles Duvelle, cofondateur avec Pierre Schaeffer du label Disques Ocora. «C’est mon héros, l’une des raisons pour lesquelles j’ai créé Sublime Frequencies.» On est loin des pistes de danse et des ondulations du funk oriental. Quant à Radio Martiko, le label planche sur une importante anthologie de musique populaire de Grèce.

>>> Lire notre article consacré à la Fondation Amar (Beyrouth) qui restaure les trésors musicaux en 78 tours de la Renaissance arabe.

 

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