Chroniques

La «com» contre la démocratie

PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

De la «monarchie républicaine» au «président jupitérien» en passant par «le maître des horloges», une chose perdure en France: la fascination récurrente des médias, toutes tendances confondues, pour les éléments de langage fabriqués par des équipes de «com» expertes en marketing politique. Ainsi, l’élection d’Emmanuel Macron et le compte à rebours des législatives donnent lieu à une surenchère de commentaires qui témoignent de l’abolition, chez trop de journalistes, de leurs facultés d’analyse critique.

A ce sujet, il est utile de rappeler les réflexions de George Orwell sur le détournement du langage par la propagande, puisque c’est de cela qu’il s’agit, dans son célèbre essai publié en 1946, Politics and the English Language: «Le langage politique (…) est conçu pour faire croire que les mensonges sont des vérités et donner les apparences de la solidité à ce qui n’est que du vent.»

N’en déplaise aux fans de la «com» macronienne, pas plus qu’une république n’est «monarchique», un président ne peut être «jupitérien». Nous sommes en 2017, pas sous l’Ancien Régime, et si les politiciens se croient sortis de la cuisse de Jupiter, Macron ne descend pas du mont Olympe. Par contre, à quoi servent ces clichés? Ils valident la représentation imaginaire d’un exercice du pouvoir conçu exclusivement comme vertical, intemporel, voire mythique, et donc incontournable et sans alternative – c’est-à-dire un exécutif hors norme qu’il faut bien accepter. Happés par ces clichés, trop de médias réduisent leurs analyses à la reprise en boucle de la dernière «petite phrase» du moment.

C’est ainsi qu’on vient de voir durant plusieurs jours la plupart des médias s’extasier sur le tweet de Macron en réponse au retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Ce très bon coup de «com» est aussi un arbre qui voudrait faire oublier une forêt en moins bon état: l’environnement a été un sujet remarquablement absent de la campagne du candidat Macron. Le quotidien écologique Reporterres a toutefois publié plusieurs articles approfondis sur ses failles et contradictions en matière d’énergies renouvelables, d’industries extractivistes et de nucléaire. Au moment de la nomination d’Edouard Philippe à Matignon, Le Monde rappelait que, «ancien cadre d’Areva, le premier ministre a voté comme député contre les lois sur la transition énergétique et sur la biodiversité». Un tweet – et tout est déjà oublié.

Quant à la façon dont Macron envisage l’exercice jupitérien ou non du pouvoir, elle a tout lieu d’inquiéter.

Certes, la constitution de la Ve République française donne à l’exécutif des pouvoirs inhabituels en démocratie, au détriment du parlement, grâce au scrutin majoritaire à deux tours qui produit des majorités artificielles, entre autres.

Mais la surenchère à laquelle se livre le parti La République en marche en matière d’étouffement du futur parlement par l’exécutif, avant même la tenue des législatives des 11 et 18 juin prochains, est préoccupante: les 522 candidats du parti présidentiel ont accepté comme condition préalable à leur candidature de se dessaisir de leur liberté de parole et de critique au profit de l’exécutif, en s’engageant à voter, entre le 24 et le 28 juillet, une loi d’habilitation qui permettra au gouvernement Macron de légiférer par ordonnance dans un but bien précis: cette automutilation annoncée laissera le gouvernement libre de procéder au dépeçage des fondamentaux du code du travail.

Sur le terrain, cela donne des déclarations qui seraient risibles si elles ne cherchaient pas à justifier la perte d’un degré certain de démocratie. Le grand quotidien régional La Voix du Nord rapporte les propos tenus lors d’une réunion du parti présidentiel dans la 11e circonscription du Nord. «Les candidats ont voulu rassurer ‘sur les ordonnances sur le travail’ annoncées par le nouveau président de la République: ‘On ne doit pas avoir peur de ces ordonnances qui vont permettre de cadrer le débat.’». Sauf qu’en fait de débat, il s’agit de réduire au silence tout un hémicycle.

Alors que des estimations annoncent, sur fond d’abstention record, une assemblée écrasée par ce que l’on appelle déjà avec complaisance le «bleu Macron», la presse serait bien inspirée de se rappeler son rôle premier de contre-pouvoir, et de s’émanciper du charme mortifère des coups de «com» contrôlés d’une main de fer par un président qui montre un certain penchant autoritaire.

Opinions Chroniques Laurence Mazure PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

Dossier Complet

Elections françaises

mercredi 7 juin 2017
Retrouvez tous nos articles au sujet des élections présidentielle et législatives en France.

Chronique liée

PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

lundi 8 janvier 2018

Connexion