Vers une Europe militaire?
On a souvent comparé la construction européenne à un cycliste: s’il n’avance pas, il se trouve en équilibre instable et il tombe à terre. Les dirigeants des Etats et des institutions de l’Union européenne (UE) doivent en effet donner en permanence aux citoyens des raisons d’être ensemble. C’est même la principale activité de la Commission européenne qui produit à jet continu des projets d’actes législatifs baptisés «avancées».
Le problème se complique lorsqu’il n’y a pas un, mais 28 cyclistes ne pédalant pas tous dans le même sens, et cela dans un environnement international de tous les dangers. Dans un tel cas, la méthode est bien connue: faute de trouver un accord sur les dossiers existants, on en ouvre un nouveau sur lequel des «avancées» seraient possibles et fourniraient le carburant nécessaire à une nouvelle «relance» du projet européen.
Ce dossier est celui de la perspective d’une Europe militaire. La conjoncture est favorable à un tel projet dans la mesure où il peut être présenté aux opinions publiques comme un outil pour se protéger du terrorisme et des autres retombées des conflits armés en cours au Proche-Orient, ainsi que pour faire face aux ambitions prêtées à la Russie.
L’Europe de la défense n’est pas une question nouvelle. Elle s’est posée dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, dans le contexte de la guerre froide. Deux problématiques ont structuré les débats à son sujet: quelle implication des Etats-Unis dans la sécurité de l’Europe? quel mode de décision – intergouvernemental ou supranational – dans un éventuel dispositif militaire européen?
En fait, il n’a jamais existé de projet consensuel d’une défense européenne qui serait assurée exclusivement par les Européens. Tous les gouvernements, à l’exception de ceux du général de Gaulle (1958-1969), ont considéré que l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), créée par le traité de Washington (1949), constituait une assurance tous risques contre l’Union soviétique.
La première tentative d’intégration militaire fut la Communauté européenne de défense (CED) sur le modèle supranational de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), et elle fut rejetée par le Parlement français en 1954. Elle est encore aujourd’hui abusivement étiquetée «européenne» alors qu’elle plaçait une éventuelle armée européenne sous la tutelle du commandant en chef de l’Otan, un général américain nommé par le président des Etats-Unis.
L’échec de la CED a durablement marqué les esprits et il a tracé la «ligne rouge» de toute initiative en matière de défense européenne: pour Londres et pour la quasi-totalité des membres de l’UE, le seul véritable outil de défense européenne est l’Otan1 value="1">Et cela malgré l’«avancée» du sommet franco-britannique de Saint-Malo (1998) qui déboucha finalement, dans le traité de Lisbonne, sur la possibilité d’une «politique de sécurité et de défense commune» (PSDC)., et toute nouvelle organisation militaire doit être compatible avec cet impératif. Mais l’élection de Donald Trump a brutalement rebattu les cartes en raison de ses déclarations contradictoires au sujet de l’Otan. La confiance des dirigeants européens dans le lien transatlantique s’est érodée. D’où, pour combler un vide et, en même temps, pour «relancer» l’UE, les propositions franco-allemandes de réalisations concrètes (notamment en matière de recherche militaire et de développement de matériels communs). Additionnées, elles finiraient par constituer une politique européenne comme les autres. La grande faiblesse de ce projet est qu’il ne dit pas quelle est la menace à laquelle il est censé répondre. Ce qui, en première priorité, obligerait l’UE à choisir le statut qu’elle assigne à la Russie dans sa doctrine stratégique: partenaire, alliée ou adversaire?
Notes
Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac, medelu.org