Le desexil aujourd’hui, demain
La violence et les incertitudes dominent dans une crise qui s’approfondit à l’échelle de la planète. Les inégalités, les attaques contre les libertés s’aggravent. Les acquis d’expériences historiques démocratiques s’effacent. L’horizon se brouille.
Les logiques ultralibérales du capitalisme font la loi. Le désir de liberté, de solidarité s’épuise. On ne peut rien changer. L’impuissance laisse la porte ouverte au déterminisme. La guerre n’a pas lieu qu’au Moyen-Orient, en Irak, en Afghanistan. La lutte des classes se perd derrière de multiples clivages, antagonismes de tous ordres, territoriaux, professionnels, générationnels, etc. qui accélèrent la fragmentation des mouvements sociaux, approfondit le désengagement.
Cortège du 1er mai à Genève. Fin du cortège: 300 jeunes entre 12 et 20 ans, habillés de noir, sans pancartes, ni tracts. On entendait: logement, vie. Qui a écouté le message des spectres de l’émancipation? La TV a montré les drapeaux rouges du rituel classique, les jeunes sont restés invisibles! Autre exemple: la retraite ou le futur (im)possible. Grâce à la Communauté genevoise d’action syndicale et au syndicat UNIA, on en parlera au colloque de Florence.
Une multitude de faits montrent que nos institutions sont délégitimées. La restauration politique apparaît au grand jour comme un sursaut de technocrates. Qui collera les morceaux épars aux Etats-Unis, au Moyen-Orient, en Europe, après les destructions? Qui voit, prend au sérieux les expulsés invisibles de la démondialisation? De quoi demain sera-t-il fait?
Nous avons besoin d’imaginer, de penser une refondation de la politique et de la philosophie dans nos conditions d’aujourd’hui. Nous avons besoin de connaître, évaluer les faits. D’avoir des outils pour décoder, penser la complexité. Or devant une planète dévastée par la globalisation économique, politique, technologique, culturelle, nos outils, nos habitudes de penser sont anachroniques.
Nous avons besoin de ne plus désigner les migrants, les réfugiés, les chômeurs, les vieux, les jeunes, etc. et ceux qui leur sont solidaires (délit de solidarité!) comme des «ennemis» intérieurs, en brandissant l’état d’exception. Qui ne cède pas au piège?
Nous avons besoin de ne pas banaliser les actes de violence d’où qu’ils viennent. Retrouver ce qui est transversal aux situations d’injustice, avec une conscience vive de ce pourquoi nous nous battons. Alors que la violence appelle les retours de flamme, la civilité est-elle une évidence si facile à pratiquer?
La réflexion critique sur la praxis dans nos vies quotidiennes est un fil rouge puissant pour tenir la route et retrouver «les chemins qui bifurquent» (J.L. Borges). De manière limitée, depuis quelques années, nous tentons de déplacer les questions, les habitudes, le regard pour retrouver la base de ce qu’Hannah Arendt nommait, à une autre époque de crise majeure au XXe siècle, le «droit d’avoir des droits».
Pour ce faire aujourd’hui, nous explorons la condition matérielle d’exil1 value="1">Cf. M.C. Caloz-Tschopp, agora, «Toutes et tous en voie de venir des exilés ?», Le Courrier du 9 mars 2017. par sa face cachée, celle du desexil. En partant du fait que nous serions tous exilé-e-s, le desexil, c’est s’arracher à la condition de violence, de domination de l’exil, en luttant pas à pas.
S’insoumettre aujourd’hui pour demain contre l’arbitraire, l’injustice, les actes d’inhumanité d’où qu’ils viennent. Durer. Tenir le coup dans des actes de désobéissance civile/civique alors que l’issue est incertaine, ce qui suppose du courage, de la lucidité, un lien étroit, vivant, partagé entre l’action et la pensée active.
Dans le cadre de colloques en réseau2 value="2">Info: http://bit.ly/2qucNNB; les dates et programmes détaillés des trois colloques sur le site exil-ciph.com dès le 8 mai. Entrée gratuite, sur inscription., après Curibita au Brésil en mars dernier, nous serons à Florence, puis Paris, avant de boucler la réflexion collective à Genève. Le titre du colloque genevois «Desexil. L’émancipation en acte» est une invitation claire: ces colloques sont un appel à refonder des espaces publics de libre imagination, réflexion, jugement. A créer ce qu’en Turquie, en Egypte, au Chili, en Syrie, en Iran, au Congo, au Brésil, en Italie, etc., on appelle des Universités libres.
Notes
* Collège international de philosophie, Genève-Paris.