De nouvelles économies sur le dos des plus pauvres!
Les mesures d’économie sont aujourd’hui une priorité, aussi bien au plan fédéral que cantonal et communal. Les baisses d’impôts concédées ces dernières années ont engendré une politique d’économie sans précédent et qui se fait souvent sur le dos des plus pauvres du pays. La réforme de l’imposition des entreprises III renforce cette tendance: il faut la refuser.
Pour attirer des entreprises dans le pays, la Suisse a mené une politique agressive de sous-enchère fiscale. Les multinationales et les sociétés financières ont bénéficié de privilèges fiscaux extraordinaires. Ces dernières années, cette pratique a cependant été de plus en plus critiquée. Au plan international, elle n’est désormais plus admise. Le Parlement et le Conseil fédéral proposent donc une nouvelle solution avec la 3e réforme de l’imposition des entreprises (RIE III). Mais en réalité, la RIE III, au lieu de corriger les inégalités des pratiques fiscales, ne fait que remplacer un régime particulier par un autre. Elle va engendrer une importante baisse de recettes à tous les niveaux, puisqu’elle va coûter 1,3 milliard de francs par an à la Confédération, une perte de 1,4 milliard de francs au plan cantonal, et qu’on s’attend encore à une perte de 1,5 milliard de francs pour les villes et les communes. Les expériences faites ces dernières années donnent une idée des conséquences de cette politique: on met en place des programmes d’économie sans précédent qui se font aux dépens des personnes les plus pauvres. Le démantèlement social est aujourd’hui évident dans au moins trois domaines.
• Réductions de l’aide sociale. L’affaiblissement des finances cantonales a mené au démantèlement de l’aide sociale dans de nombreux cantons. On a argué que l’aide sociale n’était plus finançable, ce qui a entraîné une révision des normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS). Cette révision préconise des économies sur le dos des familles nombreuses et des jeunes adultes. Les nouvelles normes ne garantissent plus le minimum vital social à toutes et tous. Le montant minimum dont une personne seule ou une famille a besoin pour vivre en Suisse n’est plus calculé selon les besoins, pourtant scientifiquement démontrés, du 10% de la population disposant du revenu le plus faible. Le seuil de pauvreté est devenu un seuil arbitraire, déterminé par des jeux politiques. Certains cantons vont même plus loin que les réductions générales préconisées. En Thurgovie, par exemple, les jeunes adultes ne toucheront plus la somme de 789 francs, déjà réduite, mais seulement 611 francs par mois.
• Réductions des subsides d’assurance-maladie. Les subsides pour réductions individuelles de primes d’assurance-maladie – inscrites dans l’aide sociale comme une prestation liée au besoin – sont de plus en plus sous pression. Une majorité de cantons, faute de moyens, ont réduit les subsides pour réductions individuelles de primes de l’assurance-maladie. Par exemple, le canton d’Argovie économise 13 millions de francs par cette réduction de prestation. Près de 17 000 personnes perdent leur droit au subside. Le canton du Valais fait une économie de 29 millions de francs, ce qui prive 21 000 personnes du subside à l’assurance-maladie. Entre 2010 et 2014, les dépenses du canton liées au subside de l’assurance-maladie ont été réduites de 169 millions de francs. C’est d’autant plus choquant que l’on sait aujourd’hui que ce sont essentiellement les familles à petit budget, dont le revenu est à peine au-dessus du seuil de pauvreté, qui font les frais de ces réductions.
• Economies dans la formation. En 2015, on a aussi fait des économies dans le domaine de la formation et de l’éducation. Une étude de l’association faîtière des enseignants de Suisse (LCH) montre que les mesures d’économie des cantons ont engendré des réductions de dépenses de près de 265 millions de francs. 175 millions de francs touchent les conditions d’emploi des enseignants. 73 millions touchent les conditions de l’enseignement, par exemple par une réduction du nombre d’heures de cours et une augmentation du nombre d’élèves par classe. De plus, 8 millions de francs ont été répercutés sur les parents par le biais de l’augmentation des frais de matériel didactique ou des camps scolaires. Et ce n’est qu’un premier pas: d’ici à 2018, 535 millions de francs supplémentaires devraient être économisés, ce qui touchera surtout les conditions d’enseignement. Les mesures de réduction communales s’ajoutent à cela. Au total, les économies dans le domaine de la formation vont s’élever à plus d’un milliard de francs. Cette politique brise des tabous. Par exemple, les cours de langue pour les enfants seront payés par les parents, ou encore la 10e année scolaire, qui sert de passerelle, va disparaître. Tout ceci touche surtout les plus vulnérables de la société.
La politique de lutte contre la pauvreté est avant tout du domaine des cantons, des villes et des communes. Ces derniers ont réduit depuis quelques années les prestations de l’aide sociale, des subsides d’assurance-maladie et du secteur de la formation. Si la RIE III passe en février 2017, la situation va encore s’aggraver. L’absence de moyens engendrera de nouvelles mesures d’économie, ce qui rendra plus précaire encore la situation des personnes touchées par la pauvreté. Si l’on veut combattre la pauvreté en Suisse, il faut refuser cette réforme.
* Secteur Etudes, Politique sociale, Caritas Suisse.