Quand Christine Lagarde faisait appel… contre les mineurs grévistes
Le 19 décembre dernier, aux journaux télévisés de 19h30 de France 3 et de 20h de France 2, nous avons appris que la Cour de justice de la République (CJR) avait déclaré Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Economie, coupable de «négligence» dans l’affaire de l’arbitrage «Bernard Tapie contre Crédit lyonnais», mais qu’elle avait été dispensée de peine. Avec, de surcroît, non inscription de la condamnation à son casier judiciaire!
A l’époque, en 2008, en ne faisant pas appel, Christine Lagarde avait de facto approuvé la décision du tribunal arbitral composé de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel; de Jean-Denis Bredin, avocat de grande expérience, écrivain, membre de l’Académie française; et de Pierre Estoup, ancien premier président de la Cour d’appel de Versailles. Ce tribunal arbitral avait accordé 403 millions d’euros d’indemnités à Bernard Tapie.
A cet égard, les journalistes auraient fort bien pu, sans avoir l’air d’y toucher, parler de l’affaire de l’indemnisation des 3000 mineurs licenciés pour faits de grève en 1948. Comme le rapportait le site du Monde du 27 octobre 2014, en mars 2011 – soit soixante-trois ans après les faits –, la Cour d’appel de Versailles avait reconnu le caractère discriminatoire et abusif du licenciement de dix-sept mineurs et employés de la société publique Charbonnages de France qui gérait les sites, et elle avait annulé ces licenciements.
La Cour de Versailles avait condamné les Charbonnages de France et l’Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs à leur verser 30 000 euros chacun (il y avait alors dix-sept familles de mineurs ou ayants droit, ce qui représentait 510 000 euros au total). Mais la décision avait été cassée en octobre 2012 par la Cour de cassation… saisie par la ministre de l’Economie du moment, Christine Lagarde!
Il faut rappeler aussi que plusieurs centaines de mineurs licenciés en 1948, outre la sanction professionnelle, furent poursuivis par la justice, encourant, dans certains cas, de la prison ferme. Et que c’est seulement en 1981 qu’une loi d’amnistie leur permit de retrouver des droits qui, à l’époque, leur avaient été ôtés: droit à l’allocation-chômage, droit à la retraite.
Comparons donc:
– D’un côté, les mineurs: des licenciements, le chômage, la perte du logement, l’opprobre, des années – jusqu’en 1981 – sans droits et, au bout de soixante-trois ans, 30 000 euros, immédiatement contestés par Christine Lagarde qui, en somme, les refuse.
– D’un autre côté, un arbitrage accepté par cette même Christine Lagarde qui accorde 403 millions à un seul individu. Et, pour sanction de la «négligence» constatée par la CJR, est dispensée de peine et d’inscription de la condamnation sur son casier judiciaire. Mais qui, dans les médias, osera effectuer ce rapprochement?
Philippe Arnaud est correspondant de l’association des Amis du Monde diplomatique à Tours. Article paru sur Mémoire des luttes, medelu.org