Chroniques

Le seul homme politique digne

PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

En France, l’été se termine et on ne va pas le regretter: attentat de Nice du 14 juillet, assassinat du prêtre Jacques Hamel dans la localité de Saint-Etienne du Rouvray moins de deux semaines plus tard – et comme si les surenchères politiques dangereuses et les positionnements électoralistes sordides ne suffisaient pas, la polémique sur le «burkini» vient clore, sur le mode grotesque, un été qui a été tragique.

Mais il restera le souvenir du visage, du regard, des paroles entrecoupées d’un silence fait d’émotion et de pudeur, du seul homme politique digne, en plein milieu de ces mois troubles. Son nom: Hubert Wulfranc, maire de la localité rouennaise de Saint-Etienne du Rouvray.

Dès les premières heures après la tragédie, ses mots et sa peine sont allés droit à la conscience collective d’un pays encore ébranlé par l’attentat du 14 juillet et en phase de repli sur soi: ainsi les médias ont parlé de «l’émouvante réaction du maire de Saint-Etienne du Rouvray». Il faut dire qu’il était impossible de ne pas être touché par l’authenticité, la sincérité absolument bouleversante et surtout la dignité de la peine d’un homme politique local: Hubert Wulfranc, élu communiste, comme tous les maires de Saint-Etienne du Rouvray depuis 1972, venait de perdre un vieux compagnon de route, ayant œuvré sans relâche au bien-être des concitoyens de cette petite localité: «Un acte de barbarie brute a emporté notre prêtre.» Dans ces paroles, avec sa douleur, ce maire communiste mettait aussi en œuvre ce qu’est la laïcité, ce qu’elle devrait être aujourd’hui et surtout comment elle se vit: dans cette municipalité de tradition ouvrière, l’église a offert pour un euro symbolique le terrain qui la jouxte afin que les habitants de confession musulmane puissent y construire leur mosquée – une porte relie d’ailleurs les deux lieux de culte.

La force de ces premières paroles, c’est aussi d’avoir fait comprendre ce qu’était la laïcité sans jamais en prononcer le nom. Pas plus que le mot de «terrorisme» d’ailleurs. Spontanément, sous le choc de la peine, d’autres mots, ponctués d’instants de silence, ont eu beaucoup plus de poids et de sens: «Depuis les premières minutes de cet odieux attentat, j’ai eu à prendre connaissance de… de l’ineffable». Si, en général, on connaît la signification de ce terme dans son association à une idée de transcendance, là, il s’agissait du sens premier, brut lui aussi: «ce qui ne peut être exprimé par le langage» – et là aussi, la force de cet instant tenait au fait que, quand bien même il était sous le choc de l’émotion, M. Wulfranc n’a parlé ni d’«horreur» ni d’«effroi», tant entendus et répétés depuis le 7 janvier 2015. Parce que cet événement et l’émotion qu’il déclenchait ne pouvaient être exprimés par le langage.

Deux jours plus tard, le 28 juillet, lors de l’hommage rendu au prêtre Jacques Hamel à Saint-Etienne du Rouvray, le maire a trouvé une fois de plus les mots justes pour exprimer «la conviction de devoir dire et faire ce qui est bon pour l’autre en fraternité», indiquer que dans l’avenir proche «cette étape de la rentrée scolaire de nos enfants est cruciale et concrète pour nous reconstruire ensemble dans notre quotidien», tout en ayant au préalable rappelé que «l’Etat de droit que notre peuple citoyen s’est donné est l’outil de notre République».

En regardant, en écoutant ces interventions de M. Wulfranc, communiste de toute une vie, il était impossible de ne pas se remémorer les vers de Louis Aragon, «Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas», de son poème La rose et le réséda, sur les héros de la Résistance venus de tous les horizons et unis dans la même lutte.

Aujourd’hui, cette lutte passe par le devoir, au quotidien, d’aborder l’autre, tous les autres, quels qu’ils ou elles soient, en fraternité et dans le respect de l’État de droit – aux antipodes de ceux qui ne voient dans les fondements de la démocratie que des entraves, qu’il faut détruire, aux seules lois du marché et à des identités mesquines, ou, pire encore, de simples «arguties juridiques».

* Journaliste internationale.

Opinions Chroniques Laurence Mazure PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES

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lundi 8 janvier 2018

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