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L’impossible fête nationale

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Osons le dire, célébrer la fête nationale est devenu une activité parfaitement schizophrénique. D’un côté, l’élu qui refuserait de se soumettre au rituel bien rôdé de la tradition patriotique signerait son arrêt de mort politique. On considérerait à juste titre comme scandaleux le fait de se dérober à ce moment de haute liturgie civique.

Mais, d’un autre côté, on considérerait avec une égale défiance celui ou celle qui voudrait dépasser les habituels clichés et les phrases creuses pour interroger la vraie et authentique signification de la fête nationale, à savoir la célébration de la nation conçue comme une communauté de destins (et non comme une addition d’individus et d’intérêts particuliers) habitant un territoire propre (et non un vague ensemble supranational à l’idéologie et aux contours flous).

Le défi est en effet impossible à relever: comment fêter la nation, ou le pays qui nous a vu naître et qui nous permet de vivre, alors qu’à longueur de discours les médias et les dirigeants politiques nous présentent ces derniers comme des concepts obsolètes et qu’ils vantent sans cesse les mérites de la globalisation économique, de l’effacement des frontières, du dépassement de la nation comme le seul horizon souhaitable de notre avenir? Comment fêter la nation comme communauté de valeurs et de destins alors que la majeure partie de l’activité politique consiste à promouvoir les intérêts particuliers de telle ou telle minorité bruyante au détriment de la majorité silencieuse? Le sens de l’intérêt collectif, du bien commun, s’est dilué dans les revendications catégorielles – défense des fonctionnaires, des handicapés, des LGBT, des malades du sida, des surdoués, des victimes de viol ou de pédophiles –, toutes activités fort louables au demeurant mais qui finissent par occuper la totalité de l’espace public disponible.

Si la lutte contre les discriminations de toutes sortes est une condition nécessaire du vivre ensemble, ce n’est pas une condition suffisante. La nation, le pays, exigent un supplément d’âme, une volonté commune, une espérance eschatologique, une dimension sacrée devrait-on dire si ce mot avait encore un sens. Or de tout cela il ne peut être question dans les discours du 1er Août. Évoquer la Suisse comme une valeur sacrée vous classe immédiatement dans la
catégorie des ringards bons pour la poubelle.

Comment s’étonner dès lors que la commémoration de la fête nationale soit de plus en plus fade et privée de grâce et d’émotion? Comment se projeter dans l’avenir si le passé est oublié et le présent tronqué par l’absence d’une terre identifiable et bien délimitée, qui est le seul et unique fondement de la souveraineté et de la démocratie. A force de vouloir concilier l’inconciliable, les discours sont condamnés à surfer sur la surface des choses et à célébrer le particulier au détriment du général.

La substance perdue, ne subsiste plus que le rite. Ce qui est sans doute mieux que rien. Mais comment s’en contenter?

* Directeur exécutif du Club suisse de la presse.

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lundi 8 janvier 2018

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