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Vive l’information plurielle!

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Aujourd’hui donc, je signe ma dernière chronique pour le Courrier. Après cinq années d’échanges et de débats parfois controversés mais toujours vivants, chacun reprend sa liberté, comme on dit. Je tiens à remercier l’équipe du Courrier pour son hospitalité, son professionnalisme et surtout pour sa capacité à accueillir une voix qui n’exprime pas forcément son ADN. C’est la grandeur d’un journal, et du journalisme, que de s’ouvrir à d’autres visions et je souhaite, dans ces temps forts troublés pour la presse écrite, longue vie à ce journal, modeste mais combatif et nécessaire.

Qu’il est devenu difficile, en effet, d’exprimer des avis divergents, d’emprunter des sentiers latéraux qui serpentent dans les sous-bois, et de s’écarter des autoroutes sur lesquelles circule une information soigneusement cadrée par une foule de limitations et d’interdictions: pas question de sortir des clous du discours libéral, européiste, atlantiste, libre-échangiste, anti-étatiste, multi-culturaliste sous peine de se voir sanctionné par les étiquettes les plus infamantes. Impossible aussi de développer un vrai discours social, de dénoncer les inégalités croissantes et l’enrichissement scandaleux de quelques-uns sous peine de se retrouver cloué au mur par les mercenaires de l’oligarchie, toujours prêts à tirer à vue sur les supposés «fossoyeurs» de la croissance, les «ennemis» de la prospérité et les «assassins» de la liberté d’entreprendre.

C’est ainsi que la majeure partie de la presse dominante s’est coupée de sa base sociale et de son public. Qu’elle a creusé sa propre tombe en déléguant aux bas-fonds d’internet le soin de mettre en lumière les faits dans toute leur complexité et pas seulement sous un angle trompeur, de diffuser des opinions alternatives ou divergentes et d’animer, dans la confusion, les débats politiques et de société qu’elle aurait dû initier. C’est ainsi que, par une sorte d’autisme inconscient, elle achève de crever à petit feu.

Mettre la faute sur la technologie et l’évolution du marché publicitaire n’est qu’une excuse qui ne trompe personne: Le Courrier, qui survit presque sans publicité ni moyens hi-tech, en est la preuve! De même les débats qui viennent de s’ouvrir sur les «fake news» et la post-vérité ne sont qu’une façon d’esquiver le problème. Créer des sites qui encensent les uns et dénoncent les autres au nom d’une vérité subjective et d’une objectivité jamais définie n’aidera en rien la presse, qui n’a déjà eu que trop tendance à penser en termes de «bons» et de «méchants», alors que la réalité ne se plie pas à ce genre de concepts réducteurs.

Pour survivre, la presse doit donc montrer qu’elle est vivante, qu’elle est capable de réinsuffler de la pluralité, de la diversité et de la complexité dans son propre mode opératoire. Elle doit nourrir et non servir de laxatif ou de somnifère. C’est sa richesse et sa boulimie qui font sa force et non son obsession de plaire à ses actionnaires et aux puissants. C’est pourquoi il faut absolument lutter pour le pluralisme, l’ouverture des colonnes aux plumes dérangeantes, et sortir de l’étroit milieu des gens de bonne compagnie. Un vrai journal n’est pas «salonsfähig».

Par chance, ce pluralisme commence à s’instaurer au niveau mondial. Partout, en Asie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient, en Russie émergent des nouveaux médias qui apportent leurs voix, leurs visions, leurs conceptions du monde. C’est un enrichissement prodigieux de la pluralité des points de vue au niveau planétaire, même si nous avons de la peine à l’accepter et si nous condamnons cette intrusion en invoquant hypocritement une défense de nos «valeurs». Dans tous ces pays, les médias écrits, parlés aussi bien que numériques sont en expansion.

Puisse cette énergie nous rappeler les vertus d’une information réellement diversifiée, authentiquement plurielle. Tout le reste n’est que discours pour amuser la galerie.

* Directeur du Club suisse de la presse.

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lundi 8 janvier 2018

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