Pas simple de vivre à Genève sans statut légal, même pour une famille européenne
Après avoir quitté la Bolivie en raison de la dureté des conditions de vie et de l’absence de perspectives d’avenir pour leur fille, Antonio1 value="1">Les noms et la situation sont fictifs. Pour plus d’informations sur le travail du centre: www.ccsi.ch et sa femme, Elvira, ont travaillé sept ans en Espagne. Deux autres filles y sont nées, et toute la famille y a été naturalisée espagnole. Au fil des années, les Mendoza ont refait leur vie en Espagne, et s’imaginaient y rester durablement. Mais lorsque la crise a frappé, Antonio a été licencié tout comme de nombreux autres collègues issus de l’immigration récente. C’est donc le cœur gros qu’il a quitté sa femme et ses filles pour venir à Genève chercher du travail.
Contrairement à ce qu’il imaginait, les choses n’ont pas été simples. Vivant sur le canapé d’une lointaine cousine, sans aucune intimité et dans une position de forte dépendance, il s’est heurté de plein fouet à la dureté du marché du travail genevois. Après quelques mois d’intenses recherches, il parvient à trouver deux emplois à temps partiel qui lui assurent un revenu suffisant pour vivre. Par contre, aucun des deux employeurs ne souhaite le déclarer. Comme cette démarche incombe à l’employeur et qu’il craint de perdre son emploi, Antonio ne peut régulariser seul sa situation. Il n’obtient donc pas le permis B auquel il aurait pourtant droit si ses patrons étaient honnêtes.
Deux ans plus tard, Elvira perd elle aussi son travail en Espagne, et se retrouve au pied du mur: sans revenus, la famille ne peut plus payer le loyer et se voit menacée d’expulsion de son logement. Entretemps, Antonio ayant finalement trouvé un emploi stable auprès d’un employeur correct, il est au bénéfice d’un permis B et vit dans un deux-pièces à Plainpalais. Avec Elvira, ils prennent alors la décision de rapatrier toute la famille à Genève et de déposer une demande de regroupement familial. En attentant que cette dernière aboutisse, Elvira et les trois filles – bien que de nationalité européenne – vivent à Genève sans permis de séjour. La famille se rend alors au Centre de contact Suisses-immigrés (CCSI) qui les accueille, les informe de leurs droits et s’assure que les filles puissent intégrer au plus vite le système scolaire.
L’année suivante, alors que les deux parents travaillent désormais (Elvira toujours de manière non déclarée), Antonio apprend que le regroupement familial est refusé. Le petit deux-pièces qu’ils occupent à Plainpalais n’a pas été jugé suffisamment grand pour une famille de cinq personnes. Les Mendoza sont alors face à un dilemme: repartir en Espagne, où ils n’ont ni famille, ni emploi, ni logement, et où le taux de chômage dépasse les 20%? Déraciner une nouvelle fois toute la famille et rentrer en Bolivie, un pays que deux des trois enfants n’ont jamais connu et où les perspectives d’avenir sont toujours aussi sombres? Impossible à imaginer, alors qu’ils viennent à peine de retrouver une certaine stabilité, et que les filles se projettent déjà dans leur avenir à Genève. En attendant de trouver un logement plus grand, Elvira et les filles resteront donc sans-papiers – malgré tout ce que cette absence de statut implique pour l’accès aux droits et l’égalité des chances, malgré les difficultés qu’elle cause dans la vie quotidienne, et malgré les tensions que cette situation provoque dans la dynamique familiale.
L’histoire décrite ci-dessus est fictive, mais illustre parfaitement le quotidien de milliers de familles à Genève, suivies par le CCSI ou par d’autres associations. En raison d’une politique migratoire restrictive, de nombreuses familles européennes restent sans statut légal, maintenues inutilement dans la précarité et l’insécurité. A cela s’ajoute la situation catastrophique du logement à Genève, qui enferme les personnes dans des dilemmes kafkaïens: sans logement convenable, pas de regroupement familial, mais avec une partie de la famille contrainte à la clandestinité, impossible de trouver un logement plus grand… Et, dans un marché du travail déjà très tendu, le fait de trouver un emploi n’est pas non plus toujours synonyme de solution. Encore faut-il que l’employeur-euse ait fait son devoir en déclarant la personne aux autorités migratoires, et que ces dernières jugent l’emploi «réel et effectif». Face à ces routes migratoires semées d’obstacles, le CCSI défend depuis plus de quarante ans les cas comme celui des Mendoza, de manière individuelle bien sûr, mais aussi en luttant inlassablement sur le plan collectif pour les droits des personnes migrantes, d’où qu’elles viennent et quel que soit leur statut.
Notes
* Centre de contact Suisses-immigrés, www.ccsi.ch, association membre de la NAC.