A Madrid on torture: quatre mille Basques peuvent le confirmer
Aztnugal. C’est avec ce mot que l’indépendantiste basque Jon Patxi Arratibel a signé le procès verbal d’audition à la police dans lequel il s’auto-accusait de collaborer avec l’ETA. Une déclaration rendue en 2011 après avoir passé 120 heures de détention, dans le sous-sol d’un commissariat de Madrid, sans aucun contact avec ses avocats, avec ses proches ou avec des médecins de confiance. Lu de droite à gauche, Aztnugal signifie «à l’aide» en langue basque. Violenté, frappé, privé de sommeil, asphyxié avec des sacs en plastique, Arratibel avait confié à sa signature un appel au secours désespéré. Un appel ignoré par les juges espagnols, qui ont rapidement classé sa plainte, mais qui a été entendu par la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a condamné l’Etat espagnol pour ne pas avoir enquêté face aux indices crédibles des tortures subies par le requérant.
Entre 2010 et 2016, l’Espagne a été condamnée à neuf reprises par des juridictions internationales pour avoir torturé et/ou ne pas avoir enquêté sur des plaintes de torture formulées par des Basques détenus au secret dans le cadre d’opérations antiterroristes. Ce même problème a été évoqué dans des dizaines de rapports du Comité de prévention de la torture, du Rapporteur spécial sur la torture des Nations Unies ou de nombreuses organisations internationales. Des magistrats, comme le juge d’instruction Balthazar Garzon ou le juge Ricardo De Prada, ont reconnu dans les médias qu’il y avait eu des «excès» dans la politique antiterroriste au Pays basque et que la torture avait été «clairement pratiquée».
Un récent rapport établi par le Gouvernement régional basque confirme ces constats et démontre l’ampleur de cette pratique honteuse. Une équipe d’experts (médecins légistes, juristes, psychologues, représentants d’ONG) a enquêté durant plusieurs années, étudiant des dizaines de milliers de documents et de témoignages, avant de rendre un rapport aux conclusions accablantes: plus de 4000 personnes ont été torturées entre 1960 et 2013, certaines à plusieurs à reprises. Les auteurs des tortures étaient des policiers ou des militaires intervenant dans le cadre d’opérations antiterroristes. Trois quarts des cas recensés se sont produits après la fin de la dictature franquiste.
Du côté du Gouvernement espagnol, la version officielle n’a pas varié: la torture serait un mensonge inventé par l’ETA pour «décrédibiliser la justice espagnole et ses forces armées». Celles et ceux qui osent dénoncer cette pratique feraient le jeu des terroristes. L’écrasante majorité des victimes ont ainsi vu leurs plaintes classées par les juridictions espagnoles et n’ont obtenu aucune réparation. Plusieurs dizaines d’entre elles purgent encore des longues peines fondées sur des déclarations extorquées par la violence et l’humiliation.
Cette réalité tragique est venue récemment frapper à la porte des autorités fédérales. En avril dernier, la réfugiée basque Nekane Txapartegi a été arrêtée à Zurich, où elle vivait depuis plusieurs années. Mme Txapartegi s’est opposée à son extradition demandée par l’Espagne, en expliquant que les aveux à l’origine de sa condamnation ont été obtenus sous la torture. En 1999, à la suite de son arrestation, Mme Txapartegi avait dénoncé avoir été détenue au secret, violée et brutalisée par des agents de la Guardia civil jusqu’à ce qu’elle accepte de rendre une déclaration par laquelle elle déclarait avoir collaboré avec l’ETA. Sa plainte pour torture avait rapidement été classée, les journaux espagnols l’avaient traitée de menteuse et ses déclarations avaient été considérées comme étant exploitables par les tribunaux de Madrid. Aujourd’hui, pourtant, le nom de Mme Txapartegi figure dans la liste des cas de torture recensés par le Gouvernement basque. De nombreux rapports médicaux démontrent que, dix-sept ans après les faits, la refugiée porte encore les traces de son calvaire. Il appartient désormais au Département fédéral de Justice et Police de trancher sur son sort. Dans sa cellule de la prison de Dielsdorf (ZH), Nekane Txapartegi attend de savoir si les autorités fédérales choisiront de la livrer à ses tortionnaires, pour ne pas contrarier Madrid, ou de respecter le droit international, en lui permettant de soigner ses blessures en liberté.
* Avocat.