Un retour à l’Ancien Régime
Le 49.3 imposé par un gouvernement aux abois pour imposer la loi sur le travail relève de la logique aristocratique de l’Ancien Régime. Le peuple mobilisé y répond tant bien que mal avec les moyens dont il dispose. Et des Fillon et autres Valls viennent à la TV, la bouche enfarinée, stigmatiser le «corporatisme» des opposants à une loi qui désarme encore plus les travailleurs, nous dénoncer les horribles crimes (de lèse-majesté?) de la CGT, qui ne fait que répondre à l’ukase du 49.3 par une mobilisation bloquant pour un temps certains mécanismes économiques.
C’est le tiers état qui est dans la rue. Ce tiers état qui avait refusé à 54,7% en mai 2005 le Traité constitutionnel européen, un tiers état qui avait parfaitement compris la portée de la fameuse directive Bolkestein organisant le dumping salarial. Et ceci malgré le matraquage du 95% des médias et de la majorité des appareils politiques. Les gouvernements Sarkozy et Hollande-Valls se sont assis dessus. Toute la politique actuelle d’austérité du «pacte de stabilité» repose sur cette violation en amont du suffrage universel. Et des europhiles distingués viennent nous faire la leçon sur la bêtise des votants lorsque, comme en Grèce, ils s’opposent au chantage de la Troïka et du FMI, ou refusent, en Hollande, de s’associer à l’intervention de l’UE en Ukraine. Curieusement, aucune voix ne s’élève dans les médias hexagonaux dominants pour défendre le suffrage universel écorné, bafoué, une conquête fondatrice de la démocratie.
Dans le royaume républicain de France, la classe politique hexagonale ressemble à la noblesse ou au clergé de l’Ancien Régime. Composée d’énarques, de juristes et de lobbyistes, elle ne partage pas les vicissitudes du petit peuple qu’elle est censée représenter. Ce sont des hommes (quelques femmes, tout de même) qui ne vivent pas avec 1200 euros par mois ou moins, ne travaillent pas à la merci d’un licenciement en cette période de chômage galopant. Ils jouissent de privilèges exorbitants, se sont octroyé des rentes à vie lorsqu’ils quittent des fonctions gouvernementales. Quel salarié licencié bénéficie de tels privilèges, rentes politiques durables ou parachutes dorés de patrons qui ont coulé leur entreprise?
Cette classe politique hexagonale parle de modernisation en imposant l’austérité au plus grand nombre, un retour en arrière à l’Ancien Régime, celui des privilèges, parce qu’elle vit déjà dans l’univers protégé de la noblesse et de l’aristocratie.
Hélas, les forces sont très inégales en énarchie hexagonale. Et les moyens accumulés en vingt-cinq ans par les oligarchies européennes à la faveur du transfert massif des biens produits par la majorité des travailleurs dans les mains d’une poignée de privilégiés sont tellement disproportionnés!
La Suisse n’est pas épargnée, sans doute. Mais grâce à la vigueur de sa démocratie directe, elle est parvenue à limiter tant soit peu les dégâts. Jusqu’à présent, aucun Conseil fédéral n’a encore osé s’asseoir sur le suffrage universel comme en France. Il y a bien des atermoiements, des manœuvres dilatoires… mais en fin de compte, la vox populi reste vox dei. Et cette démocratie-là, il faut la défendre contre toute atteinte. La Suisse est encerclée par les puissances de l’Union européenne qui obéissent au pacte de stabilité et veulent nous l’imposer.
Combien de temps allons-nous encore pouvoir résister?
* Enseignant retraité, ancien président de l’Union du corps enseignant secondaire genevois. genevois (UCESG).