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Paysans et écologistes à contresens

Au-delà de la querelle sur les pesticides qui oppose Pro Natura aux paysans, Paul Sautebin met la priorité sur la lutte contre le «libéralisme fédéral destructeur» et prône une alliance entre producteurs et citoyens-consommateurs.
Agriculture suisse

Pro Natura sort du bois et tire à bout portant sur différentes initiatives populaires émanant des milieux agricoles déposées à la Chancellerie fédérale. Le constat que pose Pro Natura quant à la pollution de nos cours d’eau, l’impact des milliers de tonnes de substances chimiques répandues dans les campagnes et du fourrage importé est irréfutable1 value="1">Lire «Pro Natura répond à l’USP qui juge sa campagne simpliste», Le Courrier, 13 mai 2016.. Fustiger l’organisation de protection de la nature et qualifier sa campagne contre l’usage de pesticides de «tendancieuse», comme le fait l’Union suisse des paysans (USP), démontre que la faîtière de l’agriculture le serait tout autant…

Certes, l’USP à raison de dire qu’on demande beaucoup aux paysans, que c’est sous la contrainte économique plus que par choix qu’ils sont condamnés à accepter l’utilisation des produits phytosanitaires. Car la politique agricole en cours stimule l’industrialisation des exploitations de plaine et réduit celles des montagnes au jardinage, fait fondre le nombre d’exploitations et les conduit vers une rationalisation industrielle. Les antibiotiques, le glyphosate (herbicide, ndlr) et autres insecticides nous rattrapent au virage, impactent la santé publique, détruisent des pollinisateurs et bien d’autres éléments vivants. Le modèle agricole bascule dans l’absurde; génère un déficit énergétique et financier considérable au seul profit de l’agrobusiness. Depuis l’engagement du libéralisme agricole dans les années 1990, la charge financière de la Confédération ne fait pourtant qu’augmenter pour s’établir aujourd’hui à 7 ou 8 milliards par an, sans compter le poids des dégâts collatéraux. Le Conseil fédéral utilise l’écologisation de l’agriculture comme cache-sexe de sa feuille de route libérale, où la puissance des marchés libéralisés court-circuite les vœux politiques, mais aussi la réalité agricole et l’environnement.

Comment, au nom de quelques plates-bandes écologiques concédées, Pro Natura peut-elle voir du «bon sens dans la politique agricole fédérale»? L’exemple de la branche laitière en crise est pourtant éloquent: la concentration des domaines, l’installation de mégafermes stimulées par cette politique ont un impact toujours plus destructif sur les valeurs que Pro Natura prétend défendre. Certes, on peut concéder à l’association une certaine méfiance à l’égard des différentes initiatives populaires des milieux agricoles. Ces dernières, tout en revendiquant une protection aux frontières, ne remettent pas en cause les lois du marché intérieur, tout aussi libérales. La porte au productivisme reste donc ouverte; le choix des productions agricoles, leurs prix et le revenu des producteurs resteront déterminés par le libre marché, lui-même réglé sur le marché mondialisé. Aussi, aucune initiative ne stipule des droits en faveur de l’environnement ou de la santé publique; tout au plus, elles se retranchent derrière les définitions confédérales.

Cependant, entre ce chassé-croisé des milieux agricoles et environnementaux, le libéralisme fédéral destructeur fait son chemin aux dépens de tous et laisse de côté un allié pourtant de poids: les citoyens-consommateurs qui arrivent avec force, poussés tant par les problèmes de santé publique que par les atteintes à l’environnement et au paysage. Alors que les paysans ne représentent qu’à peine 2% de la population, l’agriculture redevient l’affaire de tous, comme le territoire un espace commun à tous. Les conditions de nouvelles alliances se dessinent pour mettre en échec la politique fédérale en formulant une perspective de production saine pour une alimentation saine. La souveraineté des producteurs sur les choix de production et sur leurs produits, de même que la quantité et la qualité des aliments qui nourrissent les consommateurs, sont les questions centrales de la souveraineté alimentaire. Mettons à profit le débat qui s’ouvre avec les différentes initiatives populaires pour tisser les nouveaux fondements d’une politique agricole sur des bases communes pour l’avenir. Au moment où le marché transatlantique se présente comme un rempart, faisons surgir une alliance qui aurait toutes les chances de faire valoir des fondamentaux agricoles appuyés sur un mouvement associatif fort.
* Paysan à La Ferrière (BE).

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