On ne peut pas à la fois se serrer la ceinture et baisser son froc
Au cas où ça vous aurait échappé, on votera le 5 juin, en Ville de Genève, sur (c’est-à-dire contre…) les coupes budgétaires opérées par la droite coagulée dans les allocations de ressources municipales à la culture, à l’action sociale et au fonctionnement des services publics. La multiplication des mots d’ordres (et des affiches) appelant à voter «non» à ces coupes budgétaires témoigne de deux choses: d’abord, de la mobilisation contre ces coupes. Ensuite, de la multiplicité des cibles de la droite: cela va de l’Armée du Salut et de l’hébergement des sdf à l’Usine, en passant par les colonies de vacances, les chorales, les fanfares et les théâtres. 32 prises de positions ont été déposées pour le «non», 6 pour le «oui». Certes, ce déséquilibre ne présume en rien le résultat du vote, mais il illustre une évidence: presque toutes les prestations municipales sont frappées. Et donc, artistes et artisans, acteurs et spectateurs de théâtre, usagers des Bains des Pâquis, entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, danseurs et chorégraphes, associations de jeunesse, milieux cinématographiques et milieux du livre, associations d’habitants, musiciens, mouvements d’action sociale, toutes et tous sont au rendez.-vous. En sus, évidemment, des partis de gauche et des syndicats.
La culture (oui, vous savez, ce truc qui est toujours en trop) et l’entraide sociale sont prises en otage d’un règlement de compte politicien. Et tout ça pour quoi? Pour équilibrer le budget? Equilibré, il l’était déjà… Parce que la Ville est en crise financière? Ses comptes sont bénéficiaires depuis plus de dix ans (pour un total de près de 700 millions de 2004 à 2014, et de plus de 39 millions en 2015), période pendant laquelle sa fortune a triplé pour atteindre le milliard (en étant d’ailleurs sous-estimée) et sa dette a diminué de 10%…
Lors du débat sur la présentation des comptes 2015 de la Ville de Genève, avec un excédent de recettes de plus de 30 millions de francs, la démocrate-chrétienne Anne Carron a expliqué ce résultat qui navre une droite clamant à chaque séance du Conseil municipal que la situation financière de la Ville est catastrophique, que si les comptes 2015 sont bons, c’est que «la chance a été au rendez-vous». Ouais, comme depuis 2004 (à la seule exception de 2013, du fait de la recapitalisation de la caisse de retraite). La chance est au rendez-vous tous les ans depuis onze ans sur douze. C’est même plus un rendez-vous, c’est carrément un pied-de-grue décennal. A ce niveau d’obstination chanceuse, il semble inévitable que la droite coagulée dénonce la partialité gauchiste de la chance. Au fond, la seule chose que le Conseil administratif pourrait faire pour son opposition de droite, c’est de lui présenter, rien que pour elle, des comptes bien calamiteux, avec un trou profond, un gros déficit, une impasse abyssale – enfin, les comptes les plus mauvais possibles.
Les coupes dans le champ culturel ont fait le plus de bruit (et il fallait qu’elles en fassent), mais la culture n’a pas été le seul domaine visé par la droite coagulée: l’action sociale l’a aussi été, de la même manière. «Il fallait frapper un grand coup», explique la cheffe du groupe PLR au Conseil municipal. Frapper qui, donner à un grand coup à qui? Au Conseil administratif? Mais ce sont les associations et institutions qui le prennent, ce coup, pas le Conseil administratif, et dans le domaine social, c’est l’aide que les associations et institutions subventionnées apportent aux plus démunis qui est menacée. A quoi ça rime, de couper dans la subvention au Caré, à la Coulou, aux colonies de vacances, pour le seul plaisir, fugace, de montrer qu’on peut être majoritaire en agglutinant les derniers chrétiens sociaux aux fonds de tiroir du MCG? Le message est calamiteux de mépris à l’égard des associations d’entraide, des organisateurs d’activités de loisirs dont bénéficient 5000 enfants en Ville de Genève, des acteurs culturels, et même des rentiers AVS et AI bénéficiant des prestations complémentaires municipales: la Ville a dû les avertir que ces prestations, financées sur une ligne budgétaire réduite de 2% par la droite coagulée, allaient par conséquence mécanique être réduites de 50 ou 60 francs par an… dans l’attente d’un vote populaire qui les rétablira… si nous le gagnons. Et il faut que nous le gagnions.
Parce qu’on ne peut pas à la fois se serrer la ceinture et baisser son froc.
* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.