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Un projet qui n’a rien de moderne

Katharina Holderegger Rossier donne son avis sur le projet du Musée d’art et d’histoire (MAH) soumis au vote le 28 février prochain.
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Le 21 janvier, après nous avoir vanté le musée comme un simple édifice vide à transformer, le magistrat genevois Sami Kanaan et le directeur du MAH, Jean-Yves Marin, sortent opportunément un «exercice de style» (sic) de 50 pages sur le contenu du musée. Là où il faudrait une réflexion muséographique d’envergure, plaçant le MAH dans un contexte national et international, on trouve l’honnête composition d’un ancien patron de musée provincial français.

Je passe habituellement pour quelqu’un d’enthousiaste. Pourtant, le manque d’audace de ce programme m’oblige, en tant que critique d’art suisse, à ne plus mâcher mes mots sur la grande crise que le MAH traverse depuis 2009/2010, une crise qui risque de ne plus pouvoir être camouflée, même avec l’aide des conseillers en communication du projet Nouvel (MAH+) qui échouera sans doute devant le peuple. D’autres solutions sont dans l’air depuis longtemps, mais n’ont jamais eu la chance d’être examinées dans un débat loyal.

Le musée encyclopédique «pour tout le monde» tel que MM. Kanaan et Marin veulent le maintenir ne peut plus fonctionner au XXIe siècle. Ce projet muséographique est aussi casanier que la programmation du MAH+ des années passées, ainsi que de beaucoup de ses grandes expositions, malgré des dépenses souvent faramineuses.

Le MAH a dès le début souffert d’un clivage entre le nombre et la force de ses objets éclatés dans tous les domaines. Tout au long du XXe siècle, ses directeurs ont accepté quasiment tous les dons des bourgeois genevois pour ne fâcher personne. Cäsar Menz en a payé les frais en 2009: à la suite d’un audit commandé à des Parisiens, il dut quitter son poste au profit de Jean-Yves Marin, nommé pour le remplacer en trois semaines. Aujourd’hui, celui-ci entend allouer 700 mètres carrés du MAH «rénové» à la collection abondante, mais superficielle et anecdotique, du magnat du pétrole Jean-Claude Gandur, pour nonante-neuf ans, contre un don de 40 millions. Tout cela dans le cadre d’un projet qu’on croyait abandonné depuis 2008.

Vu la concurrence énorme dans le secteur de la culture aujourd’hui, un musée n’a une chance de prendre de l’ampleur que s’il est totalement reconnaissable par l’excellence de son travail de conservation, de collection et de médiation, le long de certains axes. Le MAH ferait bien de se concentrer sur ses collections les plus significatives, qui couvrent certains moments de la peinture et de la sculpture et plus globalement le dessin et l’estampe. Il deviendrait ainsi un vrai musée des Beaux-Arts, capable non seulement d’étoffer et de développer ses collections et d’y associer expositions et publications, mais aussi d’accueillir au fur à mesure les œuvres historiquement importantes dans les fonds d’art contemporains publics, notamment ceux du MAMCO pour qu’il puisse rester en mouvement. Le MAH pourrait devenir la scène d’une vraie connexion entre le passé et le présent, comme le brillant architecte genevois Marc Camoletti l’a conçu d’une manière visionnaire dès le début. La plupart des autres collections devraient rejoindre d’autres lieux ou vivre d’une manière indépendante. Si la ville de Genève veut s’offrir un phare sous forme de musée pour dynamiser son tourisme, voire même son industrie et son commerce, elle ferait mieux de fonder un nouveau Musée de l’horlogerie avec le concours de ses grandes marques, qui en ont les moyens.

Enfin, ou d’abord, il faut trouver un autre mode de gestion pour le MAH. A mon avis, le MAH doit être mis le plus vite possible sous l’aile d’une association à but non lucratif et doté d’un Conseil avec des personnalités d’envergure dans le monde de l’art et ailleurs, comme c’est le cas de la plupart des autres grands musées publics en Suisse. Un musée a besoin d’un espace propre entre le pouvoir et l’argent, le public et la presse – moi incluse.

*Critique d’art (AICA).

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