Jusqu’où ira le sauvetage de la Grèce?
Comment sauver la Grèce? Au mois d’août 2015, un troisième plan d’aide (ou Mémorandum) prévoyant un prêt de 85 milliards d’euros a été accordé au pays (pour rappel, les premiers ont été octroyés en 2010 et 2012). Mais rien n’étant gratuit, la Grèce s’engage à implémenter des réformes adaptées aux exigences internationales. L’appui européen est à ce prix. C’est pourquoi, depuis le début des négociations houleuses entre le gouvernement grec et la «troïka» (UE, BCE et FMI), on parle des restrictions budgétaires imposées au pays, dont la dette publique (175% de son PIB en janvier 2015) effraie l’opinion. Au-delà des difficultés financières manifestes, il paraît avisé de s’interroger sur la situation des institutions sociales grecques. En temps de crise, la population hellénique peut-elle se reposer sur des structures fiables et efficaces?
Avant 2008 déjà, les failles du système rendaient le pays particulièrement vulnérable aux conséquences du démantèlement de son économie. Un système à la fois rongé par la corruption et l’évasion fiscale. Avec, en plus, un secteur de la santé inefficace et une augmentation inquiétante des inégalités dans le mode de protection sociale. Les Grecs ne sont pas égaux devant l’accès aux soins, les plus démunis ne reçoivent pas l’aide minimale nécessaire.
Le sauvetage de la Grèce, visée des plans d’aide internationaux, allait-il dépendre d’une modernisation des institutions sociales grecques? Dans les faits, les réformes introduites depuis 2010 se rapprochent à plusieurs égards d’un modèle préconisé par la Commission européenne aux Etats membres de l’Union: le modèle d’investissement social. Développé à partir des années 1990, celui-ci vise à répondre aux défis actuels: vieillissement de la population, apparition de groupes sociaux en difficulté, taux de chômage élevé. Le modèle se fonde sur plusieurs stratégies: investissement dans des politiques de soutien à l’enfance, politique active de l’emploi et de la famille, lutte contre les discriminations et les problèmes liés au vieillissement.
Cependant, les efforts de modernisation sociale vont buter sur le côté impitoyable des exigences budgétaires internationales. Certes, le système d’éducation primaire et secondaire, lacunaire (l’existence d’une «para-éducation» traduisait ses imperfections), a été modernisé. Le gouvernement grec a également favorisé des politiques de réinsertion, de conciliation entre vie familiale et professionnelle et d’incitation à l’embauche (baisse des cotisations salariales pour les employeurs). Pour rappel, le taux de chômage avoisinait 30% fin 2013 (pour l’Allemagne, ce taux était proche de 5% à la même période). Ensuite, le relèvement de l’âge de départ à la retraite (à 65, puis 67 ans) pouvait laisser présager d’un regain d’activité sociale et professionnelle chez les seniors. Les domaines médicaux et hospitaliers, quant à eux, sont parvenus à rationaliser leur budget et leurs fonds de santé ont été regroupés dans une caisse unique, l’EOPYY, en 2012.
Ces mesures montrent que la Grèce a pu engager des réformes. Pourtant, le coût et l’attente des effets à long terme de ces changements sociaux sont en porte-à-faux avec les exigences financières à court terme de la Communauté internationale.
En effet, l’impact des réformes sociales est fortement atténué par les mesures budgétaires draconiennes introduites entre 2010 et 2015. Citons en exemple la situation des retraites: les coupes dans ce secteur (diminution de presque 25% du montant total des rentes en 2010 et 2011) et l’abolition des privilèges liés à la retraite anticipée bouleversent les situations financières des foyers. En 2015, 45% des retraités vivraient au-dessous du seuil de pauvreté (disposant d’environ 660 euros par mois). A ces restrictions s’ajoutent les baisses de salaires (de 25 à 50%), le gel des embauches et les licenciements. Ces phénomènes touchent autant le secteur public que le privé. En 2013, la progressive diminution des salaires du secteur de la santé depuis 2010 était estimée à 50%. Alors que la Grèce souffre de pénurie de personnel, notamment dans les soins infirmiers.
Le revenu disponible des ménages baisse alors que les coûts de la santé augmentent, à l’exemple des taxes d’admission dans les hôpitaux. En conséquence, les bienfaits espérés de la création du fonds de santé unique sont quasiment réduits à néant: la baisse des cotisations salariales induit un sous-financement de l’EOPYY.
La population à faible et moyen revenu est, comme souvent, la cible première des effets néfastes de l’austérité. Fragilisée, elle subit les conséquences des politiques restrictives imposées depuis 2010 qui prennent l’ascendant sur les réformes inspirées du modèle d’investissement social. Selon l’UNICEF, le taux de pauvreté des enfants était supérieur à 36% en 2014. La même année, EUROSTAT indiquait que 35% de la population grecque courait un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. En 2015, le chômage avoisine les 25%.
Le bilan des réformes est très lourd et les perspectives sociales sombres. Aujourd’hui, la «Troïka» exige du gouvernement d’Alexis Tsipras de nouvelles mesures budgétaires. Parmi elles, une série d’augmentations des taxes (notamment dans l’éducation privée) et une nouvelle révision du système des retraites.
Les mesures imposées à la Grèce ont débuté il y a plus de cinq ans. Quel genre de sauvetage un pays, où une grande partie de la population est au bord de la rupture, est-il en droit d’espérer?