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Ne rien lâcher!

ÉLECTIONS FÉDÉRALES • Joseph Daher livre son analyse des élections au Conseil national et plaide pour un rassemblement de toutes les forces progressistes.

L’UDC, premier parti du pays, a dépassé son score historique de 2007 (29,1%) pour atteindre 29,4% des voix. Une progression de plus de 3% par rapport à 2011, qui lui rapporte 11 sièges supplémentaires au Conseil national. Le PLR, qui défend des positions proches de l’UDC, renforce également son score en obtenant 16,4% des voix, concrétisées par 3 sièges de plus. La droite et l’extrême droite totalisent dès lors 101 sièges1 value="1">En comptant les 3 sièges de la Lega et du MCG. à la Chambre basse, sans les députés du PDC, qui sont loin d’être des remparts contre le conservatisme. L’hégémonie des idées néolibérales, sécuritaires et racistes n’a jamais aussi bien été reflétée au parlement. En même temps, le PS et les Verts perdent respectivement 3 et 4 sièges. L’élection de candidats issus de partis à la gauche du PS, dans le canton Neuchâtel (POP) et à Bâle-Ville (Basta!), ne suffit pas à remettre en cause ce climat de défaite au sein des forces progressistes.

Ces résultats sont difficiles à accepter pour tou-te-s celles et ceux qui, en Suisse, luttent pour la défense et l’émancipation des classes populaires. Les attaques droitières qui pèsent sur ces dernières ne manqueront pas de s’intensifier ces prochaines années, issues de politiques néolibérales et sécuritaires. Le verdict des urnes ne doit néanmoins pas masquer une autre réalité: l’avancée des inégalités sociales, avec une Suisse devenant toujours un peu plus un havre de paix pour millionnaires, une Suisse renforçant la défiscalisation des revenus des multinationales et sa collaboration avec des Etats autoritaires et répressifs, une Suisse réduisant les droits sociaux et démocratiques, élargissant ses lois sécuritaires, ostracisant davantage les étrangers, durcissant sa politique d’asile et laminant les services publics.

Alors, comment expliquer que la souffrance des classes populaires se traduise par une avancée des idées de droite et d’extrême droite? La Suisse ne constitue pas un cas de figure isolé: le manque de poids des forces progressistes européennes pour relayer et exprimer les frustrations sociales profite aux mouvements populistes de droite, aux nationalismes et aux fondamentalismes religieux. Ces forces sont dopées en période de crise économique en jouant sur les peurs et l’incertitude quant à l’avenir. La notion même du repli national est d’ailleurs perçue par une fraction des classes populaires et dans certains courants syndicaux comme un moyen de se défendre.

Par ailleurs, le taux de participation a stagné à moins de 50%, ce qui traduit aussi un désintérêt politique des abstentionnistes, souvent issus des classes populaires attaquées, et lassés par les promesses de partis politiques qui, comme le PS et les Verts, sont présents sur la scène nationale sans changer leur quotidien. Le leadership du PS porte d’ailleurs une responsabilité particulière en siégeant au sein d’un Conseil fédéral toujours plus marqué à droite – comme le plan de la réforme de l’AVS d’Alain Berset, le soutien à la réforme de la fiscalité des entreprises (RIE III) par les socialistes vaudois, ou encore le soutien au durcissement des politiques d’asile.

Certains analystes politiques ont également relié la défaite des Verts et Verts libéraux à une baisse d’intérêt pour les questions écologiques au sein de la population. De nombreux exemples prouvent le contraire: telles les critiques virulentes suscitées par dernier scandale de Volkswagen, la mobilisation de plus de 30 000 personnes au festival Alternatiba Léman en septembre dernier, ou encore les multiples actions qui se préparent en marge de la Conférence de Paris sur le climat en décembre prochain. Les résultats du scrutin reflètent davantage le refus des classes populaires de dissocier les questions sociales et écologiques, comme cela s’est vu avec des slogans du type «une économie verte». Soutenir un capitalisme vert est un contresens absolu: on ne résoudra pas la crise écologique par les mécanismes de marché et le productivisme qui sont à l’origine même de cette crise.

Il serait cependant erroné d’assimiler le Parti socialiste et les Verts à des partis de droite. Les premiers comptent dans leurs électorats une large représentation des classes populaires. Face à un nouveau parlement dominé par les forces de droite et d’extrême droite, il faudra rassembler toutes les forces progressistes pour construire de multiples fronts de résistance et lutter pour la défense des droits démocratiques et sociaux de toutes et tous. En ces temps moroses, il est bon d’avoir en mémoire ce poème de Brecht: «Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu (…). Nos défaites, voyez-vous, ne prouvent rien, sinon que nous sommes trop peu nombreux à lutter contre l’infamie».

Notes[+]

* Universitaire et militant de solidaritéS.

Opinions Agora Joseph Daher

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