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En Russie: pas de papiers, pas d’eau potable

SOLIDARITÉ • L’association Nochlezhka Suisse Solidaire participe à la mise sur pied d’un espace douches et buanderie destiné aux sans-papiers de Saint-Pétersbourg.

L’eau est pour nous d’un accès si facile qu’il ne nous vient pas à l’esprit qu’il y ait des lieux où cela ne soit pas le cas. Du moins pas pour tout le monde. A Saint-Pétersbourg, si vous n’avez pas de papiers d’identité, vous n’avez pas accès à l’eau potable, ou alors très difficilement. Dans cette ville, la pollution de l’eau n’est pas qu’un slogan écologiste mais elle est connue de tout un chacun. Il est recommandé de bouillir l’eau sortant du robinet. Il suffit aussi de regarder les eaux huileuses couleur chocolat de la Neva, d’observer les multiples canaux aux teintes obscures qui parcourent la ville pour comprendre que le problème est grave.

En de telles conditions, on imagine sans mal ce qu’absorbent les dizaines de milliers de sans-papiers, sans-abris, obligés de s’abreuver d’une eau saturée de chlore et de métaux lourds. En effet, les citoyens russes sans papiers n’ont aucun accès à l’eau potable et les rares points d’eau publics leur sont, la majeure partie du temps, inaccessibles, faute de papiers d’identité.

Rappelons qu’en Russie il y a cinq millions de Russes qui n’ont aucune existence légale du fait de l’absence, dans leur passeport intérieur, de l’enregistrement de leur domicile (propiska). Cette inscription, dûment tamponnée dans le passeport, est l’unique clé à une existence administrative et aux droits qu’elle procure. Et sans propiska, en Russie, vous n’êtes rien. A Saint-Pétersbourg, ils sont plus de soixante mille dans ce cas.

Dans cette ville, depuis vingt-cinq ans, l’ONG Nochlezhka leur vient en aide. Pour souligner cette absence d’accès à l’eau potable et pour sensibiliser la population de la ville, Nochlezhka a lancé, début août, une opération de distribution de bouteilles d’eau. A ce jour plus de 1200 litres d’eau ont été répartis. Les médias pétersbourgeois se sont faits l’écho de la campagne et c’est ainsi que des citoyens ont spontanément apporté des packs d’eau à l’ONG, ce qui a permis de prolonger l’action.

Olga, la soixantaine, qui est venue récupérer quelques bouteilles distribuées, nous raconte ce que c’est de ne pouvoir boire à sa soif: «J’ai appris à économiser afin qu’une bouteille d’eau me serve plusieurs jours. Mais quand il fait chaud, j’ai vraiment très soif. Parfois, n’y tenant plus, je m’abreuve dans un canal mais après je suis malade…».

Rencontré une bouteille d’eau potable à la main, Sergueï, une quarantaine d’années, le visage buriné par la survie, nous parle de ce calvaire que représente la recherche d’eau potable. « Il y a seulement deux possibilités d’en avoir de la propre. Gagner un peu d’argent et l’acheter ou se rendre dans les toilettes du McDonald’s. Mais si nos vêtements sont sales, difficile d’entrer et de boire l’eau aux toilettes. Parfois, nous désignons parmi nous une personne qui a les vêtements les moins sales et elle va chercher de l’eau pour tous. Il y a des jours où je ne peux rien acheter à boire, où je crève de soif. Aujourd’hui, par exemple, je n’avais rien bu avant cette distribution. (il est 19 h 30)»

De plus, à Saint-Pétersbourg, les plus démunis n’ont pas la possibilité de faire leur lessive, ni de se laver. Face à cet implacable constat, Grigory Sverdline, le directeur de Nochlezhka, s’insurge. «Il nous déplait que certains d’entre eux sentent mauvais, mais il ne nous vient jamais à l’esprit qu’ils n’ont tout simplement pas d’endroit pour se laver et faire leur lessive. La ville ne possède pas de douches gratuites, tandis que les bains publics leur refusent l’entrée faute d’identité administrative.»

C’est en ce sens, et face au désintérêt chronique de l’administration pétersbourgeoise, que Nochlezhka a décidé de réaliser un indispensable projet: équiper un container de trois cabines de douches, une lessiveuse et un séchoir à linge.

* Nochlezhka Suisse Solidaire. L’association soutient l’ONG russe Nochlezhka. Son objectif: permettre aux sans-papiers, sans-abris de survivre dans un premier temps puis de retrouver une vie active. www.suissesolidaire.org

Opinions Agora Pierre Jaccard

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