Panzerfinanz et dette grecque
La chancelière Merkel domine la scène européenne. Elle est flanquée du ministre des finances Wolfgang Schäuble, rouage essentiel du parti démocrate-chrétien et de la machinerie étatique allemande. Sous Helmut Kohl, il orchestra le bradage de l’économie est-allemande. Ministre de l’intérieur du gouvernement Merkel I, ses propositions anti-terroristes (dont la mise en cause de la présomption d’innocence…) et la justification de Guantanamo firent sa réputation d’intraitable. Le SPD n’est pas en reste, Sigmar Gabriel pratiquant lui aussi la violence verbale. La logique financière allemande est autant conforme au dogme de l’ordo-libéralisme qu’aux intérêts d’une population vieillissante dont il faut assurer les retraites indexées sur les marchés. S’ils pénalisent la consommation et l’investissement, donc la relance, les taux d’intérêt élevés favorisent la rente, dont les retraites sont partie prenante. Double bénéfice au demeurant puisque la pauvreté imposée à l’Europe du Sud condamne à l’émigration des jeunes formés, diplômés, qui vont régénérer à moindre coût l’économie et la population allemandes.
Le rouleau compresseur de la logique financière court-termiste est impitoyable. On peut parler de « Panzerfinanz « (finance char d’assaut), non seulement parce que le char d’assaut financier écrase le bien-être des populations, mais aussi parce que l’Allemagne est devenue le troisième exportateur mondial d’armes (Principaux clients entre 2008 et 2013: Les Etats-Unis, Israël et la Grèce). L’Allemagne est, avec les Etats-Unis, devant la France, le principal vendeur d’armes (chars, pièces d’artillerie, sous-marins…) à la Grèce, à laquelle elle administre des leçons de bonne gestion budgétaire. La part de la défense pèse lourd dans le budget grec : 2,2%du PIB (3,9% entre 1995 et 1999) contre 1,7% en moyenne pour l’UE. Situation d’autant plus tragique que l’Allemagne et ses concurrents fournissent aussi en armes la Turquie, atavique ennemi de la Grèce, alors que tous deux sont membres de l’OTAN. Course aux armements épuisante puisque la Grèce compte 11 millions d’habitants, la Turquie 78 millions. Quelques journalistes allemands rendent scrupuleusement compte de cette situation. Ainsi Claas Tatje, dans l’article «Schöne Waffen für Athen», (Die Zeit du 7 janvier 2012) relève que la Grèce est, après le Portugal, le principal acquéreur européen d’armes allemandes et que l’Etat social s’amenuise quand le budget de la défense augmente. L’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) note que les ventes d’armes sont le principal vecteur de la corruption des classes politiques. Chargé de la lutte anti-corruption, Panagiotis Nikolouidis rappelait dans Le Temps que l’Europe avait nourri la corruption en Grèce. Siemens et un banquier français sont d’ailleurs impliqués en Grèce dans des affaires de corruption.
Les économies réalisées récemment dans le budget de la défense grecque ne sont pas à la hauteur des besoins, tandis que les coupes claires sont opérées sans hésitation dans les dépenses de l’éducation et de la santé. Le 2 juin 2015, Die Zeit, sous la signature de Hauke Friedrichs, relève que la morale s’arrête à la livraison de matériel militaire. Les banques des pays fournisseurs d’armes interviennent dans les montages financiers, à des taux bien supérieurs au cours que la BCE consent aux banques. Goldman Sachs, qui avait truqué les comptes pour faire artificiellement respecter par la Grèce les critères de Maastricht, et avait tiré de la supercherie de substantiels profits, est encore active sur les marchés grecs. Les Etats respectifs (donc les citoyens contribuables) sont garants de ces marchés d’armes.
La responsabilité allemande serait moins indécente si elle ne se parait, haut et fort, des habits de la morale et de la rigueur financière, en taisant l’ancienne lourde dette allemande envers la Grèce. En Europe, l’Allemagne détient la palme d’or en matière de Panzerfinanz, elle n’a pas le monopole. Ses concurrents, moins pesants dans tous les sens du terme, ne sont pas exempts des mêmes impudences. En 2010, Paris se déclarait disposé à prêter 6 milliards à la Grèce en contrepartie de l’achat de frégates made in France(Le Point, 27 janvier 2015). Le système s’applique au Tiers-monde sous la dénomination d’« aide liée ».
Les privatisations programmées entre le premier ministre Tsipras et l’Union européenne vont apporter de l’argent frais en condamnant un secteur public qui, modernisé, pourrait jouer un rôle moteur. Les oligarchies européennes tournent le dos à leurs peuples et à la paix.
* Gabriel Galice est président du Conseil de Fondation du GIPRI. Auteur de « Les empires en territoires et réseaux », Geneva Paper n°15, GCSP, juillet 2015.