Il n’y en aura pas pour tout le monde
Il n’y en aura pas pour tout le monde. Ce slogan utilisé il y a peu par le Parti populaire (PP) – le parti de la droite espagnole – durant la campagne électorale en Catalogne résume assez bien l’essence de la philosophie néolibérale. Premièrement, nous sommes trop nombreux. Par rapport à quoi? A ce qui est disponible. C’est comme vouloir dire qu’il y a trop de têtes pour trop peu de chapeaux.
Mais le néolibéralisme n’a pas l’intention de produire plus de chapeaux pour résoudre le problème. Au lieu de cela, il opte pour couper des têtes. Il pourrait mieux répartir ce dont nous disposons, organiser des rotations de chapeaux… Mais non. Il faut diminuer la demande de chapeaux à cause de l’excès de têtes. Et qui décide qu’il faut couper des têtes et lesquelles seront effectivement coupées? La population réunie démocratiquement en assemblées? Non. C’est le marché. Les têtes ont vécu au-dessus de leur moyen à force de vouloir donner un chapeau à tout le monde. Maintenant il faut agir en conséquence et couper les têtes en trop avec austérité.
Comment le marché décide-t-il quelles sont les têtes qui survivront pour le nombre de chapeaux insuffisant? Grâce à l’action magique, savante et équilibrée de sa main invisible. C’est ainsi que survivront les têtes les mieux qualifiées grâce à l’application de l’inévitable loi de l’offre et de la demande. Comme par enchantement malthusien, au nom des sacro-saints équilibres macro-économiques.
Et si, en violation de ces normes, plus de chapeaux étaient produits pour répondre à la demande de toutes les têtes? Non, non et non. Mon Dieu, mieux vaut ne même pas imaginer le désordre macro-économique qui se produirait à la suite de la ténébreuse vengeance du marché, qui frapperait toutes les têtes en punition pour avoir désobéi à la loi de l’offre et de la demande. Tout sauf ça.
L’inflation exploserait. Les capitaux fuiraient vers l’agence HSBC la plus proche ou iraient se réfugier – attirés par la loi de l’attraction universelle qui leur est propre et si aucun obstacle ne les en empêche – vers les paradis fiscaux où ils seraient en paix et à l’abri. Le Fonds monétaire international (FMI) activerait toutes ses alarmes et nous qualifierait d’être le pire exemple. Il dirait que nous ne méritons pas sa confiance pour recevoir ne serait-ce qu’un centime de prêt ou de capital.
Est-ce que quelques têtes valent tous ces risques, alors que leur insistance à vouloir survivre peut nous exposer à tous les feux de l’enfer? Nous exposer à être déclarés «pays non fiable» aux yeux des organismes internationaux de la finance et du pouvoir?
Il restera donc moins de têtes, mais de meilleure qualité, car elles sauront qu’elles devront faire des sacrifices pour s’accommoder avec les quelques chapeaux restants. Voici ce dont il s’agit pour les pays, les gouvernements, les partis sérieux. S’il n’y en a pas pour tout le monde, il restera tout de même quelque chose pour quelques-uns: ceux qui auront été choisis par le marché, les seuls qui méritent d’avoir leur tête protégée.
* Sociologue et politiste, coordinateur du Laboratoire des politiques publiques de l’université d’Etat de Rio de Janeiro (UERJ). Paru dans le quotidien mexicain La Jornada, 16 mai 2015, www.jornada.unam.mx/2015/05/16/opinion/020a1mun; traduit de l’espagnol par Luis Alberto Reygada, pour Mémoire des luttes, www.medelu.com