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Evénements sportifs toujours plus délirants?

MONDIAL • Une minorité profite du Mondial. Contrairement aux travailleurs et aux habitant-e-s des favelas – qui en subissent les conséquences de plein fouet. Eclairage de Solidar Suisse.

Selon une estimation prudente du Sénat brésilien, les pouvoirs publics investissent 20 milliards à 30 milliards de francs dans le Mondial de football de 2014 et les Jeux olympiques de 2016. Tout cela pour construire des infrastructures – stades, routes et aéroports – et expulser, par souci d’image, des habitant-e-s de favelas situées aux abords des stades. Un montant difficile à réunir, même pour un pays émergent en plein essor comme le Brésil, et dépassant les coûts cumulés des trois derniers Mondiaux de football en Corée du Sud/Japon (organisation conjointe), en Allemagne et en Afrique du Sud.

Les événements sportifs internationaux sont toujours plus gigantesques et plus chers: Vladimir Poutine a déboursé près de 50 milliards de francs pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014, à Sotchi. Mais nul ne connaît les chiffres exacts. L’émirat du Qatar va même investir bien plus de 100 milliards pour la Coupe du monde de 2022.

Economiquement parlant, ces grands raouts sportifs ne tiennent jamais leurs mirobolantes promesses. En 2010, les coûts pour le gouvernement sud-africain ont largement dépassé les prévisions initiales. Les pouvoirs publics ont hérité d’une perte nette de 2,8 milliards de francs – que les contribuables doivent éponger. Il n’est en revanche rien resté des nouveaux emplois, des meilleurs logements ou des hôpitaux promis. Sans parler de la réduction de la pauvreté et des inégalités sociales. La FIFA, pour sa part, a réalisé 2,35 milliards de bénéfice, les diverses sociétés de construction 1,4 milliard.

En prévision du Mondial 2010 en Afrique du Sud, Solidar Suisse s’était déjà engagée pour des conditions de travail dignes sur les chantiers, contre les expulsions et pour le respect des droits humains. D’abord via une pétition adressée à la FIFA, puis en collaborant avec des syndicats sud-africains.

Avant le Mondial brésilien, Solidar a exigé de la FIFA diverses mesures en vue d’une Coupe du monde socialement fair-play. Car une débâcle identique à celle de l’Afrique du Sud se profile. A la suite des pressions exercées par la FIFA, le fisc brésilien a consenti des cadeaux fiscaux massifs à la fédération de football. Les pertes pour l’Etat se chiffrent déjà, selon des estimations prudentes, à près de 750 millions de francs. Par ailleurs, des favelas ont été «nettoyées» et des marchand-e-s de rue se retrouvent privés de leur gagne-pain.

Nos exigences sont les suivantes: pas d’expulsions d’habitant-e-s de favelas et de marchand-e-s de rue, pas d’exploitation sur les chantiers et pas d’exonérations fiscales et de lois d’exception pour la FIFA1 value="1">cf. www.solidar.ch/fr/brazil.html. La FIFA refuse d’entrer en matière.

Les préparatifs des Mondiaux font peser une terrible pression sur les épaules des ouvrières et des ouvriers des chantiers, souvent pharaoniques. Deux travailleurs sont morts en Afrique du Sud; au Brésil, sept sont décédés jusqu’ici, alors que le pays est confronté à d’importants retards. Au Qatar, la situation est plus dramatique encore: même si le Mondial ne s’y déroulera qu’en 2022, la Confédération syndicale internationale (CSI) estime que plus de 400 Népalais et Indiens sont déjà morts durant les premiers travaux de construction. Aucun chiffre n’est disponible pour les autres nationalités des quelque 1,4 million de travailleurs étrangers. Mais tous sont soumis aux conditions inhumaines de la «kafala», un système de travail forcé interdisant par exemple de quitter le pays ou de changer d’employeur. La devise «plus haut, plus vite, plus fort» des Mondiaux de football et des Jeux olympiques serait-elle devenue «plus grand, plus cher et plus inéquitable»? La FIFA et le Comité international olympique (CIO) sont manifestement confrontés à la pression grandissante des syndicats, des médias et d’une opinion publique critique. Lors de scrutins démocratiques, la population dit non à l’organisation de joutes sportives, par peur d’énormes dettes pour les pouvoirs publics et de graves atteintes à l’environnement.

Et, chose impensable il y a peu, durant la Coupe des confédérations de juin 2013, des centaines de milliers de Brésiliens ont protesté contre les coûts mirobolants du Mondial, l’état calamiteux des systèmes sanitaire et éducatif, les expulsions forcées et les conditions de travail précaires sur les chantiers. Si, en 2008, 79% de la population du Brésil soutenait encore le Mondial dans son pays, cette proportion a aujourd’hui chuté à 48% – et ce dans la nation la plus dingue de foot au monde.
Les protestations contre le gigantisme de la FIFA portent leurs fruits. Lors des préparatifs du Mondial 2010, les syndicats sud-africains du bâtiment ont vu affluer près de 30 000 nouveaux adhérents; ils ont aussi obtenu de substantielles hausses de salaire2 value="2">cf. www.solidar.ch/campagne-hors-jeu.html. Et leurs confrères et consœurs brésiliens ont lutté avec succès à l’échelon local. Dans quatre villes accueillant des matches de la Coupe des confédérations, des marchand-e-s de rue brésiliens ont pu vendre leurs produits à des supporters, dans des zones à l’origine exclusivement réservées aux sponsors de la FIFA. Solidar a soutenu ces activités menées par des organisations de la société civile.

A la suite de l’énorme pression des médias et des syndicats, le gouvernement du Qatar a déclaré, en février 2014, que les conditions de travail de la main-d’œuvre étrangère rempliraient des «standards élevés» à l’avenir, sur les chantiers du Mondial 2022. Mais passera-t-on de la parole aux actes? Affaire à suivre.
 

Notes[+]

* Article paru dans le magazine Solidarité (mai 2014) de Solidar Suisse, l’œuvre d’entraide des syndicats et du Parti socialiste suisse: www.solidar.ch

Opinions Agora Joachim Merz

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