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Initiative grise d’une marche blanche

VOTATIONS • L’initiative sur la pédophilie crée plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le texte proposé va par ailleurs à l’encontre du principe de la proportionnalité, estime l’Association des juristes progressistes.

Ainsi donc, lors des votations du 18 mai prochain, le peuple suisse serait prêt à violer les principes fondamentaux de son ordre juridique «pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants».

Selon les articles 5 et 36 de la Constitution fédérale, l’activité de l’Etat doit être proportionnée au but visé, en particulier, lors de toute restriction d’un droit fondamental.

Par ailleurs, un article constitutionnel est, par définition, juridique et se doit de comporter des notions aussi précises que possible, sous peine d’ouvrir un boulevard à l’arbitraire.

L’initiative de la Marche Blanche prévoit que «quiconque est condamné pour avoir porté atteinte à l’intégrité sexuelle d’un enfant ou d’une personne dépendante est définitivement privé du droit d’exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes».

«Quiconque»! Mais de qui s’agit-il: d’un adolescent, d’un jeune adulte tout juste majeur, d’un adulte mûr…? Le Conseil fédéral interprète qu’il devrait s’agir d’un-e auteur-e majeur-e uniquement. Mais qui sait?

On comprend en tout cas qu’il s’agit de quelqu’un qui, ayant commis une fois, commettra automatiquement toujours encore, sans amélioration possible, et qu’il faut donc s’en protéger.

«Condamné»!? Sachant que le code pénal prévoit la condamnation à l’amende, à une peine-pécuniaire, à une peine privative de liberté, assortie le cas échéant du sursis, voire même la culpabilité sans le prononcé de peine, on se demande si sera concerné tout «condamné», sans tenir compte de la peine prononcée. Si cela concerne déjà un-e coupable sans peine prononcée, il y aurait là une belle violation du principe de proportionnalité.

«Porter atteinte à l’intégrité sexuelle»!? On peut croire que sont visés la contrainte d’une victime à l’acte sexuel, le fait de lui imposer des attouchements, lui demander d’être touché-e voire caressé-e, ou lui demander d’exercer des actes d’ordre sexuel. Le comportement réprimé serait donc celui qui porte atteinte à la liberté et au développement sexuel (art. 187 à 193 du Code pénal). On peut admettre que de tels comportements entraînent une interdiction de fréquenter des enfants ou des personnes dépendantes.

Mais probablement que se masturber ou s’exhiber devant la victime ou le fait de la confronter à de la pornographie douce échapperaient à la norme. Là encore, ne serait-ce pas le cas, que le principe de proportionnalité serait violé.

La victime à protéger est un «enfant ou une personne dépendante», c’est-à-dire: l’enfant prépubère, l’adolescent, le jeune de 16 ans, majeur sexuellement? Selon le Conseil fédéral, s’agissant de la protection de la liberté et du développement sexuel, la victime à protéger serait toute personne de moins de 18 ans. Quant à la personne dépendante, les situations sont multiples (relation de travail, thérapeutique, autorité jouissant d’un pouvoir public…).

En tout cas, on peut comprendre que l’auteur devra avoir profité d’une situation ou provoqué une situation lui permettant d’exercer un certain pouvoir sur la victime pour soulager son vice.

«Définitivement privé du droit…». Toute loi, y compris la constitution, est modifiable. Par ailleurs, la vie ne saurait être figée dans du définitif… sauf par la mort. Juridiquement parlant, là encore, une telle solution irait vraisemblablement à l’encontre du principe de la proportionnalité.

«Exercer une activité professionnelle ou bénévole». Sachant qu’il est notoire que, trop souvent, les atteintes à l’intégrité sexuelle sont le fait d’un membre de la famille ou d’un proche, une mère, un cousin, une amie «pédophiles» sont-ils touchés par l’initiative? L’avenir le dira peut-être, mais présentement, on l’ignore.

Enfin, le contact est-il prohibé même s’il n’est qu’occasionnel? Selon l’interprétation du Conseil fédéral, il devrait plutôt s’agir d’interdire un contact régulier avec les potentielles victimes. Là encore, le flou.

On voit donc que, loin de résoudre des problèmes, l’initiative en crée de nouveaux. Et curieusement, ni les atteintes à la vie, ni celles à la liberté ne sont visées. Comprenne qui pourra.

Si l’initiative passe, le juge n’aura d’autre choix que l’interdiction définitive. Dès lors, plus la peine de juger en tenant compte des circonstances de la cause. Interdisons, et le droit sera sauf.

L’Association des juristes progressistes ne peut guère donner son aval à un texte aussi fumeux. Est bien préférable le contreprojet – soit la modification en particulier du code pénal. L’interdiction à prononcer aura l’efficacité protectrice visée.
 

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Votations du 18 mai 2014

Important programme pour ce scrutin. Entre autres, on votera sur le salaire minimum et le Gripen. A Genève, on revotera sur les tarifs TPG.