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Lorsque les juges ne devraient pas se tromper

ASILE • En Suisse, la norme minimale prévoit deux instances de recours en matière de protection juridique. Sauf dans le domaine de l’asile, qui n’en compte qu’une. Une situation choquante pour Caritas Suisse, qui réclame une modification législative.

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On apprend de ses erreurs, et l’erreur est humaine. Les juges sont humains, ils peuvent eux aussi se tromper. C’est pourquoi un Etat de droit met en place des structures qui permettent de rattraper les éventuelles erreurs des juges. De mauvaises décisions peuvent être contestées devant une instance supérieure, que l’on appelle la seconde instance de recours. Si l’Etat exige des impôts trop élevés, si un partenaire contractuel ne remplit pas sa part du contrat ou si une caisse d’indemnités chômage refuse de payer ce qu’elle doit, il existe toujours la possibilité de faire examiner un premier jugement par une instance supérieure. Mais pas lorsqu’il s’agit de vie ou de mort, de liberté et de servitude ou d’oppression de toutes sortes. Le genre de questions que traite la procédure d’asile.

Contrairement à d’autres pays européens, la Suisse se trouve dans la situation paradoxale où les seuls juges qui doivent décider potentiellement de questions touchant à la vie et la mort – les juges de l’asile – n’ont pas droit à l’erreur. La raison en est l’art. 83 d de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF) qui dit que, contre les «décisions en matière d’asile», le recours est irrecevable.

Les juges de l’asile n’ont donc pas le droit de se tromper. Ce qui est illusoire. Les juges de l’asile sont aussi des êtres humains, et les êtres humains font parfois des erreurs. Cela est par exemple arrivé à Ashgar Alizadah (nom modifié), originaire d’Afghanistan, qui a demandé l’asile en Suisse. La foi chrétienne l’attirait déjà dans son pays d’origine, où le changement de religion est pourtant interdit. C’est pourquoi Ashgar Alizadah n’a pu professer sa foi qu’après être arrivé en Suisse, où il a adhéré à une Eglise. Le pasteur l’a instruit dans la foi chrétienne. Puis, jugeant son engagement profond et sincère, le pasteur lui a donné le
sacrement du baptême.

L’autorité de l’asile n’a pas cru en la conversion d’Ashgar Alizadah – son passage de la foi musulmane à la foi chrétienne – et l’a renvoyé de Suisse. Ashgar Alizadah a fait recours de cette décision. Son pasteur a écrit une lettre pour le tribunal, dans laquelle il atteste de la sincérité de sa foi chrétienne aussi bien d’un point de vue théologique que spirituel.

Mais le tribunal a refusé le recours: certes, il admet qu’en Afghanistan, les chrétiens sont effectivement persécutés et même tués par leur propre famille, leur communauté ou l’Etat, et qu’on ne peut donc pas les renvoyer dans ce pays. Mais il confirme ne pas croire en la conversion d’Ashgar Alizadah: ses connaissances de la Bible seraient trop lacunaires. Il n’aurait fait que jouer la comédie de la conversion devant le pasteur. Détail piquant: le tribunal fait référence en passant à un autre jugement, dans lequel il soutient la version exactement inverse, à savoir qu’il est toujours très difficile pour l’autorité de l’asile d’évaluer la conviction intime d’une personne lors d’une conversion et qu’il faut par conséquent s’assurer les compétences d’un spécialiste, en l’occurrence un pasteur.

Le tribunal n’aurait pas dû opposer sa propre évaluation de la sincérité de la conviction chrétienne d’Ashgar Alizadah à celle du pasteur, qui devrait faire autorité en la matière. Ce jugement est donc erroné. Mais cette erreur ne sert à rien pour Ashgar Alizadah – la procédure suisse en matière d’asile suisse est ainsi faite qu’il n’existe aucune possibilité de recours auprès d’une seconde instance.

Cette situation est choquante. Il est inacceptable que, justement dans un domaine où l’existence même des gens est engagée, la norme suisse en matière de protection juridique soit à ce point en dessous de ce qui est nécessaire. Si les juges peuvent se tromper lorsqu’il s’agit de fiscalité, de contrats ou d’indemnités de chômage – parce que leur jugement peut être contesté par une seconde instance –, cela devrait être la norme s’agissant de questions de persécution dans le pays d’origine des personnes. En matière d’asile, il faut donc instituer au moins une seconde instance de recours, comme c’est le cas dans tous les autres domaines. Caritas Suisse demande que la disposition déterminante de la loi sur le Tribunal fédéral – l’art. 83 d – soit supprimée.

La vie est le bien le plus précieux d’une personne. L’illusion selon laquelle les juges sont infaillibles est parfaitement déplacée dans ce domaine.
 

Opinions Agora Suzanne Gnekow

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