Un taux de pauvreté élevé malgré la prospérité économique
Depuis peu, l’aide sociale subit de fortes pressions, et différents cantons discutent de réduire ses prestations. Mais cette réflexion ne tient pas grand compte des personnes directement touchées par la pauvreté. C’est pourtant sur elles que le regard devrait se focaliser, car c’est de contribution à la société de pères, de mères et d’enfants vivant dans notre pays que l’on parle lorsqu’on parle de l’aide sociale.
L’aide sociale – le dernier filet de sécurité garantissant le minimum vital – est actuellement soumise à une rude pression. Dans les cantons d’Argovie, de Soleure, de Zoug et de Zurich, plusieurs interventions visant à réduire les prestations de l’aide sociale sont pendantes. Dans le canton de Berne, le Grand Conseil a accepté le 5 septembre la motion Studer intitulée «Optimisation des coûts de l’aide sociale» qui demande une réduction de 10% du montant total de l’aide sociale, réduction que l’on pourra ponctionner dans le forfait pour l’entretien, les suppléments d’intégration et les prestations circonstancielles. On légitime ce démantèlement de l’aide sociale par la nécessité pour les cantons d’effectuer des économies. Cette justification, qui semble bien représenter l’avis de la majorité actuelle, ne tient pas grand compte de la réalité quotidienne des personnes directement touchées par ces mesures.
Les chiffres récents de la pauvreté en Suisse sont éloquents. Dans une période de prospérité économique, le taux de la pauvreté ne fléchit pas: 7,6% de la population vivant en Suisse est pauvre. Cela veut dire que 582 000 personnes en Suisse vivent sous le seuil de pauvreté, dans des conditions précaires, et ne sont pas en mesure d’assurer leur minimum vital ni de prendre part à la vie sociale.
Lorsqu’on observe la statistique de la pauvreté en Suisse selon des critères sociodémographiques, deux évidences sautent aux yeux. Premièrement, plus d’un tiers des personnes touchées par la pauvreté sont des familles. Les familles monoparentales – ces mères et ces pères seuls qui, par manque de possibilités de prise en charge extérieures de leurs enfants, ne peuvent pas augmenter leur temps de travail – sont même surreprésentées.
Deuxièmement, même si l’activité professionnelle protège de la pauvreté une grande partie de la population, le nombre de working poor est indécemment élevé, et il a encore augmenté l’an passé. En chiffres absolus, plus de 130 000 personnes en Suisse travaillant à temps plein n’arrivent pas à assurer leur minimum vital et doivent faire appel à l’aide sociale. Dans ce domaine, l’aide sociale a de plus en plus pallié ces dernières années les problèmes structurels du marché du travail et elle a pratiquement subventionné transversalement l’économie.
C’est donc incontestable: le démantèlement des prestations de l’aide sociale engendrera une augmentation de la pauvreté des familles, renforcera la précarité et augmentera le nombre de personnes qui ne sont pas en mesure de prendre part un tant soit peu à la vie sociale. Il serait plus que temps de voir la réalité en face et de s’engager dans les cantons pour une politique durable de prévention de la pauvreté. Une politique de la pauvreté investissant dans l’éducation, la formation et la formation continue des enfants, des jeunes et des adultes. Une politique de la pauvreté, mettant sur pied des conditions-cadre dans le marché du travail et permettant d’harmoniser la vie professionnelle et la vie de famille. Une politique de la pauvreté installant des conditions-cadre qui permettraient notamment aux familles monoparentales d’exercer une activité rémunérée et de sortir de la pauvreté. Et une politique de la pauvreté exigeant de l’économie qu’elle paie enfin des salaires permettant aux salariés de garantir leur minimum vital.