Chroniques

People de toujours

 
Mauvais genre

Le chroniqueur épisodique bénéficie d’un insigne privilège, quand l’intitulé de sa rubrique est formulé de manière assez vague: celui de pouvoir combler les lacunes les plus criantes du journal qui lui ouvre aimablement ses colonnes. Ainsi, les principes du Courrier étant, osons-le dire, d’une rigidité, d’une austérité peu communes, on y cherche en vain, je ne dis pas une page, mais ne serait-ce qu’un entrefilet consacré à ceux qu’on appelle les people. Une fois n’est pas coutume, c’est donc l’une de ces personnes hautement intéressantes qui retiendra ici toute notre attention.

***
Georgine n’est pas contente de ses seins. Il faut dire qu’ils sont bien tombés avec les années. « Je les avais très ronds, très fermes, superbement galbés», nous confie-t-elle. Et puis voilà, ce n’est plus qu’un beau rêve. Mais celle qui fut Miss France 1917, après avoir été Miss Champagne-Ardenne en 1915, a conservé un sourire plus que jamais éclatant: vingt et une dents, un peu terreuses il est vrai, mais à l’émail parfaitement décapé. Elle a toujours pris soin de son corps, avec des moyens tout à fait naturels, précise-t-elle – même si sa poitrine fut légèrement gonflée à l’ypérite: c’était dans l’air du temps. Ce qu’elle a perdu en souplesse, avec l’âge, elle l’a gagné en liberté d’articulation. Elle qui fut la reine du French cancan des Années folles pourrait encore sans problème exécuter ces fameuses figures aux noms bien français que sont la mitraillette ou le coup de cul, se chatouiller la clavicule avec l’unique métatarse qui lui reste et se frotter le coccyx avec les rotules. Mais le plus extraordinaire est qu’elle a toujours toute sa tête – sans la peau, évidemment, ni les cheveux, cette belle toison dans laquelle les Fridolins auraient tant aimé fourrager, quand ils passèrent par Reims. «Je ne leur ai rien cédé», assure-t-elle, en faisant cliqueter fièrement toutes ses vertèbres.

L’impertinent qui commit un pinçon sur sa croupe opulente dut en avaler son casque à pointe. Elle est comme ça, Georgine: d’un naturel entier, même s’il lui manque aujourd’hui précisément l’opulence de jadis. Ses fesses piriformes, qui évoquaient encore gracieusement la Williams pour les Tommies au moment du Débarquement, ont connu le destin des poires qui finissent en compote. Mais on ne lui reprochera pas d’avoir la cuisse plus légère qu’elle ne l’avait: l’usage qu’elle en fait reste d’une totale correction.

Pour tout dire, elle n’en fait plus aucun usage. Elle avait un peu voyagé, dans l’entre-deux-guerres. A Marrakech, elle dansa pour le Glaoui. Elle chanta la Marseillaise dans la kasbah d’Alger, et connut un triomphe aux casernes d’Agadez et de Boundoubadi. Mais le soleil africain nuisait à son teint. C’est un problème qu’elle ne connaît plus à présent. Elle est d’une blancheur nivéale, du pariétal au petit orteil, quoique ici ou là un peu jaunâtre, un peu brunâtre. Ce sont les traces de son ultime demeure, qu’elle n’a plus quittée. Sur la plaque de marbre qui la protège, on lit un nom que tous ont oublié. Elle fut pourtant une gloire d’antan.

Mademoiselle Georgine, vous qui avez cette longue expérience, à la fois de surface et d’en dessous du sol, quels conseils auriez-vous à donner à vos jeunes consœurs d’aujourd’hui, aux starlettes de demain, aux vedettes d’hier, à toutes celles qui ne vous ressemblent pas encore tout à fait?
Elle se tait. Elle ne répond rien.

Peut-être faut-il répéter la question, dans cette cavité qui ne forme plus une oreille. Mais elle se contente de sourire, mystérieusement, de son éternel sourire. Vingt-et-une dents, et quelques autres qu’en cherchant bien on finirait par trouver.

*Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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