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«Des dérives sécuritaires intérieures au programme»

ARMÉE • Auteur de l’initiative pour l’abrogation du service militaire obligatoire, en votation à l’automne 2013, le Groupe pour une Suisse sans armée critique les orientations du projet DEVA, prochainement mis en consultation.  

Le projet de «Développement de l’armée» (DEVA) mis en consultation par Ueli Maurer marque un virage décidé et dangereux visant à sortir l’armée suisse de la crise sans précédent qu’elle traverse depuis la fin de la guerre froide. Son concept stratégique s’appelle «Réseau national de sécurité». L’armée sera résolument tournée à l’intérieur pour l’appui aux autorités civiles face aux «nouvelles menaces» (terrorisme, catastrophes naturelles, immigration de masse, pandémies, troubles sociaux…).

Le projet d’armée à l’étranger a échoué. Le projet de «sécurité par la coopération» avec les armées occidentales s’est trouvé bloqué depuis le vote très serré de juin 2001 sur l’armement des soldats suisses à l’étranger (51% de oui seulement, en raison de l’opposition conjointe du GSsA et de l’ASIN [Action pour une Suisse indépendante et neutre, ndlr]). Le coup de grâce pour la coopération militaire internationale est venu en 2009-2010 avec le rejet, par une majorité parlementaire composée de l’UDC et d’une gauche inspirée par le GSsA (Verts et une minorité du Parti socialiste), du projet de Micheline Calmy-Rey de participation de l’armée suisse à l’opération Atalante contre la piraterie au large des côtes somaliennes.

Le virage de l’armée à l’intérieur. La réduction du nombre de chars, de canons d’artillerie et de places d’armes ne plaira guère aux tenants de la défense nationale traditionnelle. Pourtant, ces pertes seront compensées par tout un nouvel arsenal sécuritaire. Les camions blindés de transport de troupes prévus au programme d’armement 2013 et les nouveaux drones israéliens prévus au programme 2014 font déjà partie de cette réorientation. Pour payer le renouvellement de l’arsenal sécuritaire, une majorité parlementaire veut augmenter les dépenses militaires à au moins 5 milliards de francs par année au lieu des 4,7 actuels.

La diminution des effectifs est toute relative puisqu’elle sera obtenue surtout avec la suppression de la réserve (les 60 000 soldats actuellement inactifs sur un total de 180 000). Les 100 000 soldats de la nouvelle armée suisse seront pratiquement aussi nombreux que ceux des armées belge, autrichienne, suédoise et norvégienne réunies. Le chiffre est important non pour le fonctionnement de l’instrument militaire, mais pour sa légitimation. En Suisse, le service militaire obligatoire constitue un principe fondamental pour la légitimité de l’armée et le chiffre de 100 000 constitue un socle minimal pour le maintien de l’armée de conscription.

L’action du GSsA. Avec cette armée, les dérives sécuritaires à l’intérieur sont programmées. L’opposition du GSsA contre la nouvelle Constitution genevoise qui légitime le recours à l’armée pour la «sécurité et l’ordre public» était malheureusement prémonitoire.

La votation du 22 septembre pour l’abrogation du service militaire obligatoire et le référendum prévu pour l’hiver prochain contre l’achat des nouveaux avions de combat permettront de critiquer non seulement les coûts exorbitants, mais aussi les logiques sécuritaires absurdes qui veulent faire croire que la sécurité de la population dépend de la disponibilité d’une armée de masse dotée d’armes sophistiquées.

L’action du GSsA s’est toujours basée beaucoup plus sur les positions de principe (pour le désarmement et pour la résolution non violente des conflits) plutôt que de se laisser guider par la préoccupation de faire le jeu de l’un ou l’autre des camps des pro-armée. C’était le cas avec l’opposition aux projets d’ouverture à l’étranger de l’armée et c’est le cas aujourd’hui avec la suppression de l’obligation d’apprendre le métier de la guerre.

Il reste à convaincre que le service militaire obligatoire ne constitue aucunement une «garantie démocratique» contre les dérives liées à l’engagement de l’armée pour la sécurité intérieure. La répression des mouvements sociaux par l’armée aux XIXe et XXe siècles montre que l’armée de conscription est un instrument tout à fait efficace pour faire régner l’ordre. Pour mater la grève générale de 1918, on a engagé des unités à forte composante rurale pour occuper les villes et tirer sur les ouvriers en grève. Aujourd’hui, on voit mal les quatre nouveaux bataillons de policiers militaires «retourner leurs fusils» face à des manifestant-e-s ou à des immigré-e-s «illégaux». D’autant plus qu’une très large partie des jeunes avec un esprit critique face à l’autorité militaire fait partie des près de 50% des jeunes qui aujourd’hui choisissent de ne pas accomplir le service militaire.
 

* Groupe pour une Suisse sans armée.

Opinions Agora Tobia Schnebli

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