«Pour éliminer la mafia, il faut frapper sa structure financière et ses relations avec les autres pouvoirs, depuis le politique. Le combat total contre la criminalité organisée et la corruption, le rétablissement [du délit pénal] de l’usage de faux en bilan et l’introduction des délits contre l’environnement dans le code pénal sont des actions nécessaires pour libérer le développement économique.»
Ce discours, Antonio Ingroia, le leader du mouvement Rivoluzione Civile, est le seul à l’entonner durant la campagne législative en cours. Dans une récente interview, l’ancien procureur de la République de Palerme, où il a lutté contre la Mafia pendant vingt-cinq ans, affirmait que «la corruption, la fraude fiscale et les systèmes mafieux font perdre à l’Etat chaque année environ 400 milliards d’euros, un cinquième de la dette publique italienne. Le combat contre l’illégalité se transforme en moteur de développement1 value="1">Il Fatto Quotidiano, 16 février 2013..»
Dans la liste de la coalition Rivoluzione Civile, deux autres noms marquent cet engagement: Franco La Torre, fils de Pio, le dirigeant communiste assassiné par la Mafia, et Gabriella Stramaccioni, coordinatrice du groupe antimafia Libera.
Les autres partis n’insèrent dans leur programme que quelques timides lignes, noyées dans les points dédiés aux thèmes de la justice et/ou de la sécurité.
Sur la liste du Parti démocrate, deux candidats montrent toutefois l’engagement du parti. Le procureur en chef de Palerme, Pietro Grasso, et Laura Garavini, active dans la lutte contre les mafias en Allemagne. Mais, dans l’ensemble, le thème demeure marginal dans les programmes. Comme si l’on voulait oublier que l’Italie héberge sur son territoire cinq organisations criminelles majeures. Cosa Nostra et Stidda en Sicile, la ‘Ndrangheta en Calabre, la Camorra en Campanie et la Sacra Corona Unita dans les Pouilles, qui contrôlent de vastes régions, bien au-delà de leur terres traditionnelles.
La présence des mafias au Nord, dans les régions les plus riches du pays, n’est plus à prouver. Ce contrôle s’exerce par la violence, mais aussi grâce au réseau des complicités économiques et politiques, au niveau local, régional et national. Le commerce des voix est une tradition des élections italiennes.
Grâces à leurs activités, les mafias accumulent un butin considérable. Le rapport 2009 de l’Eurispes (Institut européen des études politiques, économiques et sociales des statistiques) dit que les mafias italiennes ont engrangé 130 milliards d’euros bruts (70 milliards nets) en 2008, ce qui représente 10% de la richesse produite en Italie. Le seul secteur «commercial» de la criminalité mafieuse, qui concerne directement le monde entrepreneurial, a atteint les 92 milliards d’euros, autour de 6% du PIB.
Les principales sources d’accumulation illégale de capitaux sont les stupéfiants (59 milliards d’euros), les entreprises mafieuses (24,7 milliards: adjudications et fournitures, agroalimentaire, contrefaçon), les «impôts mafieux» (21,6 milliards: racket et usure) ainsi que le secteur du bâtiment et la gestion des déchets toxiques, (16 milliards: écomafias, voir Gomorra de Roberto Saviano).
Il s’agit pour la plupart d’argent frais qu’il faut investir dans l’économie réelle, dans l’achat de biens matériels et recycler. Le système actuel du capitalisme financier – secret bancaire, fonds spéculatifs et paradis fiscaux – est une aubaine pour les mafias du monde entier.
L’application de deux lois montre bien la mainmise des mafias dans la péninsule. A la suite d’un horrible carnage à Taurianova (Reggio Calabria), le parlement italien approuva en 1991 la loi No 221 qui prévoit la possibilité de déchoir une administration locale infiltrée par la mafia. Depuis lors, 214 Conseils municipaux ont été dissous en Sicile, Campanie, Calabre, Pouilles, Basilicate, Latium, Ligurie, Piémont et Lombardie. En 2012, le record a été battu avec 25 dissolutions, dont celle de Reggio Calabre, le premier chef-lieu de province à connaître ce sort. Dans la plupart des cas, ce sont des administrations de centre-droite qui ont été infiltrées.
En 1998, le gouvernement de centre-gauche a fait voter, après une pétition nationale lancée par Libera, la plus grande association qui lutte contre les mafias, une loi qui permet de destiner les biens confisqués à des initiatives socialement utiles. Même si l’application laisse beaucoup à désirer, sept coopératives agricoles qui donnent du travail à plus de 150 jeunes ont vu le jour sur des terres confisquées. Elles sont regroupées dans Libera Terra, qui s’occupe de l’assistance juridique et technique, et d’un label qui garantit la qualité des produits, bios, vendus par les magasins de l’association dans plusieurs villes italiennes et par la chaîne des magasins du commerce équitable.
Beaucoup plus nombreux sont les biens immobiliers confisqués. Du 9 au 11 novembre s’est déroulé à Milan le premier Festival national de Libera. Conférences, films, concerts et nombreuses autres activités ont eu lieu dans seize immeubles confisqués aux mafias dans la commune. En Lombardie, ce sont plus de 600 biens qui ont été saisis et confisqués, 300 uniquement à Milan. «Croire que les mafias ne peuvent pas exister à Milan est une idiotie tragique», estime le chargé aux Politiques sociales, Pierfrancesco Majorino. «Le temps est révolu durant lequel Milan a fait semblant de croire d’être immunisée contre la criminalité organisée.»
Notes