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L’ascenseur est dans l’escalier

REFLEXION • L’évocation, par certaines voix de gauche, de la «panne de l’ascenseur social» – qu’il s’agirait de réparer – marque un ralliement à l’idéologie libérale de l’«égalité des chances», selon Gabriel Sidler.

Que l’on déplore à grands cris sa «panne» ou que l’on se félicite d’avoir pu l’emprunter (et, bien sûr, d’en être sorti aux étages supérieurs), l’«ascenseur social» apparaît régulièrement dans les discours politiques à gauche, toujours pour en vanter les mérites incomparables. Quant aux questions de savoir à combien on peut s’y serrer, et surtout s’il y aura de la place pour tou-te-s là-haut, elles sont plus rarement évoquées, et pour cause…

La rhétorique de l’ascenseur social est une rhétorique de la réussite individuelle, et s’oppose en cela frontalement à l’idée de «société sans classe» qui constitue le fondement de tout projet réellement égalitaire. Que certain-e-s à gauche entonnent ce couplet de «la panne de l’ascenseur social» qu’il s’agirait de réparer n’est rien d’autre que le signe de leur abandon d’un projet d’émancipation collectif, et marque leur ralliement à l’idéologie libérale de «l’égalité des chances». Parler d’«ascenseur social», c’est présupposer les étages: c’est donc inévitablement admettre l’inégalité dans la société et conforter l’argument du mérite qui justifie l’inégalité comme produit de l’égalité des chances, c’est-à-dire de la mise en concurrence généralisée des individus.

Comme le notait déjà Marx, «plus une classe dominante est capable d’accueillir dans son sein les individus éminents des classes dominées, plus son règne sera stable et dangereux» (Le Capital, livre III). Il s’agit donc bien au contraire de redécouvrir ce qu’Albert Thierry, enseignant syndicaliste du début du XXesiècle, appelait le refus de parvenir: «refuser de parvenir ce n’est ni refuser d’agir, ni refuser de vivre; c’est refuser de vivre et d’agir pour soi et aux fins de soi».
 

* Texte paru dans Pages de Gauche n° 118, janvier 2013, www.pagesdegauche.ch

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