Les noces de Marc Bonnant
Marc Bonnant est bien connu pour ses effets de manche; de manche en dentelle, bien sûr: c’est le parfait chevalier de la manchette, la bouquetière de nos prétoires! Il fleurit son langage d’innombrables figures d’un style passablement douteux et de quelques barbarismes, toujours en quête du mot rare dont il prend bien soin de ne pas vérifier le sens dans le dictionnaire, et bondissant d’une idée à une autre sans souci de la logique de l’enchaînement, mais avec toute la grâce de l’Antidorcas Marsupialis. Semaine après semaine, sa prose trouve abri à l’extrême droite d’une des pages du Matin dimanche, sur des sujets assez peu variés, il faut le dire, et pour défendre des thèses hélas trop prévisibles.
Soucieux pourtant d’être toujours à la pointe de l’actualité, il s’est penché le 2 décembre sur le sujet qui agite les soutanes chez nos voisins de France: le mariage homosexuel. L’homme est envieux; il envie la chance que représente le fait d’être homosexuel aujourd’hui; on ne vous brûle plus, on ne vous interne plus: être gay est un «must» dont la cruelle nature n’a pas voulu gratifier notre avocat. On voudrait le rassurer: les asiles psychiatriques de la Russie post-soviétique sont plus que jamais ouverts aux «déviants», on pend toujours en Iran et ailleurs – il pourrait même regarder du côté de Cuba, si la fumée de ses havanes ne l’aveuglait pas. Mais sa prose conserve la trace de ces heureux temps: le mal homosexuel est toujours un cancer dont le mariage serait alors une «métastase». N’y voyons aucune homophobie: l’ancien bâtonnier, qui pousse l’audace jusqu’à porter la cravate rose, s’empresse de le préciser. Il ne fait que mener le «combat» pour la défense de l’institution. Les homosexuels, en effet, s’efforceraient de la détourner à des fins de «reconnaissance sociale de l’orthodoxie de leurs amours». Le juriste qu’il semble avoir été ignore ainsi qu’on puisse simplement souhaiter avoir un certain nombre de ces droits qui lient contractuellement deux personnes; et le jésuite qu’il est devenu (sans les qualités rhétoriques) feint de ne pas savoir qu’on peut changer une définition. Il se réfère au dictionnaire, une fois n’est pas coutume – et celui de l’Académie française de 1694 doit avoir ses faveurs; car s’il avait consulté le Grand Robert tel qu’on peut le trouver en ligne, il aurait constaté que le «mariage entre hommes, mariage homosexuel» figure en bonne et due place au point I.5. Les dictionnaires ont apparemment plus de faculté d’adaptation que les hommes. Il faut dire que le jeune Bonnant n’a visiblement eu droit qu’à l’éducation sexuelle la plus élémentaire. Il a la touchante naïveté de croire encore qu’on fait des enfants avec un bout de parchemin et deux signatures. Le mariage ne serait, à l’en croire, que le moyen de s’assurer une descendance, «de sang, non juridique». Nul doute qu’il ne réserve l’amour à la maîtresse et le plaisir à la bonne, dans «l’alcôve», comme il dit, ou le placard à balais: mais ses confrères pourraient avoir la générosité de lui apprendre l’existence de certains autres articles dans le contrat de mariage, la possibilité de l’adoption, même si elle est encore réservée aux hétérosexuels ou aux personnes seules, et surtout le fait qu’on puisse avoir des enfants sans avoir passé devant M. le Maire. Le risque étant alors, évidemment, que notre Trissotin local ne nous gratifie d’un nouveau billet vilipendant la fille-mère et la femme adultère.
* Ecrivain, maître d’enseignement et de recherche à l’université de Genève.