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Le CRIF écrit-il les discours de Hollande sur la Palestine?

AGORA FRANCE • La proximité d’un conseiller en communication de François Hollande avec le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) interroge Alain Gresh, journaliste au «Monde diplomatique».

Finalement, le gouvernement français a voté en faveur de la reconnaissance de l’Etat palestinien. A reculons, après avoir longtemps hésité, en demandant mille et une garanties à l’Autorité palestinienne. Il est loin le temps où la France défendait une position originale, appelait à l’autodétermination des Palestiniens et au dialogue avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), passant outre aux injonctions des Etats-Unis et d’Israël.

L’information de l’hebdomadaire L’Express ne semble pas avoir suscité de fortes réactions: dans un article du 8 novembre de Marcelo Wesfreid, «Paul Bernard, la plume de l’ombre de François Hollande», on apprend en quoi consiste le travail de Paul Bernard: «De l’ouverture de la conférence sociale à l’anniversaire de la Libération de Paris, de la commémoration du Vél’ d’Hiv à celle de la tuerie de Toulouse, du discours sur l’école à celui sur la mutualité française, il est celui qui rédige les premières trames, amendées ensuite par son supérieur hiérarchique, le conseiller politique Aquilino Morelle, puis remodelées par le président lui-même. Paul Bernard planche aussi sur les interviews télévisées et les Légions d’honneur, quand il ne s’occupe pas d’une préface de livre.»

Qui est donc cet homme de l’ombre? «(…) En sortant de Normale-Sup, un DEA sur la littérature de l’époque napoléonienne en poche, il entre chez Publicis comme chargé de mission auprès du magnat de la publicité Maurice Lévy. Il participe pour le compte de l’homme d’affaires à la rédaction du rapport commandé en 2006 par le ministre des Finances Thierry Breton, sur l’’économie de l’immatériel’, cosigné avec Jean-Pierre Jouyet.

Parallèlement, il rejoint le Mouvement juif libéral de France (MJLF), un courant du judaïsme progressiste qui s’est notamment illustré en menant campagne pour l’accès des femmes aux fonctions du culte. Le touche-à-tout a récemment intégré le comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF).»

Rappelons que parmi les objectifs du CRIF figure celui de soutenir l’Etat d’Israël. Et que, depuis des années, cette organisation a toujours soutenu toutes les aventures militaires israéliennes, de la guerre contre le Liban en 2006 à celle contre Gaza en 2012.

Mais ne croyez surtout pas que l’homme est de parti pris. Il explique: «Il faut oublier ce qu’on pense et ne pas chercher à peser dans le sens de ses propres idées.»

Imagine-t-on un instant un citoyen français de confession musulmane, engagé dans une association de soutien au peuple palestinien, chargé d’écrire les discours du président de la République?

Je ne sais pas si M. Bernard cherche ou non à imposer ses propres idées sur le conflit, mais comment ne pas remarquer ce que le président français a dit lors de la conférence de presse avec le premier ministre israélien Netanyahou: «Il y a aussi la tentation pour l’Autorité palestinienne d’aller chercher à l’Assemblée générale de l’ONU ce qu’elle n’obtient pas dans la négociation (…). Seule la négociation pourra déboucher sur une solution définitive à la situation en Palestine.»
Or c’est, au mot près, ce que disent les dirigeants israéliens depuis des mois (…), et qui est repris par le CRIF. (…)

Une simple coïncidence? Sans doute, et le réalignement de la politique française sur la Palestine dépasse, bien évidemment, le travail de tel ou tel homme de l’ombre.

M. Bernard a aussi rédigé, si l’on en croit L’Express, le discours de Hollande du 1er novembre, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes de l’attentat du 19 mars 2012 (Ecole Ohr Torah – Toulouse). La cérémonie s’est tenue en présence de M. Netanyahou.

«Ces enfants de la France reposent aujourd’hui à Jérusalem. Nos deux pays, nos deux peuples, sont réunis autour de leur souvenir. Monsieur le premier ministre, vous représentez un pays créé, au lendemain de la Shoah, pour servir de refuge aux juifs. C’est pourquoi chaque fois qu’un juif est pris pour cible parce que juif, Israël est concerné. C’est le sens de votre présence. Je la comprends, je la salue, je vous accueille.»

Il est donc normal qu’Israël soit concerné par la situation des juifs de France? A-t-on demandé leur avis aux juifs de France qui ne veulent rien avoir à faire avec Israël et qui ne se reconnaissent pas dans cet Etat? A-t-on demandé leur avis aux juifs de France qui ne se reconnaissent pas dans un premier ministre qui mène une politique d’oppression des Palestiniens?

Il est paradoxal que ceux-là même qui dénoncent l’importation du conflit israélo-palestinien en France invitent le premier ministre d’Israël à une telle cérémonie, favorisant les amalgames nauséabonds entre juifs, sionistes et Israël. Les mêmes qui dénoncent la mobilisation des banlieues ou des musulmans de France en faveur des Palestiniens soutiennent celle des juifs de France (ou de certains d’entre eux) en faveur d’Israël.

Ce «deux poids deux mesures» encourage la montée d’un antisémitisme stupide, qui veut faire croire que les juifs de France disposent d’un statut différent de celui des autres citoyens.

Dans une déclaration du 22 novembre, l’Union française juive pour la paix (UJFP) s’interrogeait aussi pour savoir «Qui représente les Juifs et la ‘communauté juive’ en France?» et s’inquiétait du soutien inconditionnel du CRIF à l’Etat d’Israël dans son attaque contre Gaza. Cette prise de position contribue davantage à la lutte contre l’antisémitisme en France que toutes les déclarations du CRIF ou de certains de nos responsables politiques.

Lorsqu’on a un ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, qui peut proclamer que, par sa femme, «il est lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël», nous pouvons nous inquiéter. Valls a tenté d’obtenir la suppression de cette citation, notamment dans sa biographie sur Wikipedia et en demandant à la radio de Strasbourg (qui avait enregistré ces propos, ndlr) de les retirer au nom du droit d’auteur. Mais la censure ne peut rien contre internet. (…)

 

* Paru dans Les blogs du Diplo, http://blog.mondediplo.net/

Opinions Agora Alain Gresh

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