Asile: le moment de se remobiliser
ALDO BRINA*
La Commission des institutions politiques du Conseil national vient de terminer l’examen d’un énième projet de révision de la loi sur l’asile, dans un contexte marqué par une hausse sensible des demandes d’asile depuis le début du Printemps arabe – 22 500 nouvelles demandes en 2011. Ce nombre n’atteint toutefois pas le jamais vu: il y en avait eu 27 000 en 2002, 47 500 en 1999. Mais parce que les infrastructures d’hébergement sont difficiles à trouver, et que les «faux» réfugiés maghrébins jouissent d’une couverture médiatique extraordinaire (surtout en Suisse alémanique), un vent de panique souffle sur les chambres fédérales.
Conséquence: les durcissements introduits par le Conseil fédéral passent comme une lettre à la poste et une partie des 45 propositions extrêmes que l’UDC (Union démocratique du centre) avait lancées au moment où débutait le travail en commission, pour faire pression sur les débats, deviennent subitement raisonnables pour une majorité de parlementaires, jusque dans les rangs du Parti socialiste. Et tant pis si, dans l’urgence de gérer les flux de ceux présentés comme de «faux» réfugiés, on modifie durablement un droit d’asile destiné à ceux qui ont besoin d’une protection.
Suppression de la possibilité de déposer une demande d’asile dans les ambassades suisses à l’étranger, obstacles au regroupement familial pour les réfugiés reconnus, extension du régime d’aide d’urgence, affaiblissement du statut de l’admission provisoire, introduction d’un examen préliminaire permettant d’engager une procédure de renvoi avant même le dépôt de la demande d’asile…
Les parlementaires de la Commission n’y sont pas allés de main morte, mais des propositions encore plus radicales ont été rejetées in extremis. L’UDC voulait soumettre tous les requérants d’asile en procédure et les personnes admises à titre provisoire à des prestations uniquement en nature (des repas et un lit), ce qui serait revenu à appliquer un régime équivalant à l’aide d’urgence à des personnes censées s’installer durablement en Suisse. Cette mesure hautement nocive n’a été rejetée dans la Commission que par douze voix contre dix… Elle pourrait encore néanmoins, comme d’autres, être acceptée mi-juin par le plenum du Conseil national.
La Commission s’est aussi prononcée en faveur de la suppression de la désertion et du refus de servir comme motif d’asile. Inventée par Christoph Blocher au moment où il était conseiller fédéral, cette mesure vise à réduire le nombre de demandeurs d’asile érythréens, qui depuis plusieurs années déjà constituent un des plus grands groupes de demandeurs d’asile en Suisse. La raison de cet important exil est simple pour qui regarde de plus près la situation en Erythrée: une dictature brutale inflige des peines disproportionnées – camp de travail, torture, mort – à ceux qui désertent un service militaire proche de l’esclavage, qui concerne hommes et femmes et dont la durée n’est même pas déterminée.
Mais cela fait longtemps qu’on ne part plus de la réalité de pays en guerre, ou écrasés par un régime autoritaire, pour expliquer la nécessité de maintenir un droit d’asile en Suisse. Les problèmes d’hébergement et de sécurité occupent tout l’espace dans le débat, et finissent par effacer le sens premier de la politique d’asile. On ne pense plus aux vies sauvées, mais uniquement aux problèmes de gestion des flux et de renvoi.
Dans ce contexte, le parlement n’a plus qu’à adopter durcissements sur durcissements. Des parlementaires de différents partis emboîtent désormais le pas à l’UDC et émettent des propositions du même acabit, tandis que ceux qui résistent sont minoritaires. Ainsi s’impose le paradigme UDC, dans lequel ni les jurisprudences des tribunaux suisses, ni la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, ni la Convention européenne des droits de l’homme n’apparaissent comme des bornes infranchissables. Elles semblent être au contraire les prochains rocs que l’UDC entend dynamiter, et l’érosion préméditée de ces institutions finira par nuire à tous, demandeurs d’asile ou citoyens suisses.
C’est pour cette raison qu’il faut tenter de recadrer le débat sur les situations terribles qui contraignent les réfugiés à l’exil, et qu’il faut à nouveau se mobiliser: le 23 juin prochain à Berne s’organise une grande manifestation pour une politique migratoire digne, et son retentissement doit redonner une direction claire – attachement à la solidarité entre les peuples et aux droits humains – à ceux qui ploient toujours davantage devant les discours ambiants.
* Chargé d’information et de projets au Centre social protestant – secteur réfugiés, Genève.