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AIR POLLUÉ: LE CŒUR PAIE AUSSI

ENVIRONNEMENT • «Même minime, la pollution de l’air est problématique.» Les polluants peuvent endommager les poumons, le cœur et le cerveau. Pour des raisons génétiques, certaines personnes sont particulièrement à risque, affirme la scientifique Nicole Probst-Hensch.

Nicole Probst-Hensch est épidémiologue. Après des études de pharmacie à l’EPFZ, une thèse de doctorat à l’Université de Bâle et un long séjour de recherche en Californie, elle a mis sur pied et dirigé l’Institut national pour l’épidémiologie et l’enregistrement du cancer (NICER) à l’Université de Zurich. Depuis 2009, elle est à la tête du département d’épidémiologie des maladies chroniques à l’Institut tropical et de santé publique suisse, à Bâle. Nicole Probst-Hensch est responsable de la biobanque et de la génétique de l’étude de cohorte SAPALDIA (lire ci-contre). Elle est aussi membre de la direction de l’étude. Rencontre.

Nicole Probst-Hensch, au cours des trente dernières années, la qualité de l’air s’est améliorée, du moins en Europe. Faut-il cesser de s’inquiéter?
Non, car même une pollution atmosphérique minime n’est pas sans danger. Nous devons donc poursuivre nos efforts pour maintenir l’air aussi pur que possible. Notre situation, ici, est privilégiée. Prenez Chennai, en Inde, où se trouve notre institution partenaire: là-bas, la circulation a de quoi vous tuer! Nous aimerions faire profiter d’autres pays de l’expertise que l’étude SAPALDIA nous a permis de constituer, afin de prévenir les gens des préjudices que la pollution atmosphérique risque d’infliger à leur santé.

Quels sont ces préjudices?
A court terme, la pollution de l’air provoque des troubles respiratoires. Les jours où la concentration de particules fines est élevée, les personnes sensibles, notamment les asthmatiques, vont plus souvent chez le médecin, ils doivent prendre davantage de médicaments et finissent parfois à l’hôpital. A long terme, les polluants atmosphériques entraînent une baisse de la fonction pulmonaire. Les affections des voies respiratoires augmentent, tout comme l’artériosclérose, d’où une élévation de la mortalité. Car les gens meurent moins de troubles respiratoires que de problèmes cardio-vasculaires.

Est-ce surprenant que les polluants atmosphériques aient un effet sur le cœur?
Seulement à première vue. Les particules polluantes sont susceptibles de déclencher une inflammation chronique dans les poumons, qui peut se propager à l’ensemble de l’organisme, et donc avoir un impact sur le cœur, voire sur le cerveau. L’expérimentation animale montre également qu’il existe peut-être un rapport entre la poussière fine et certaines maladies inflammatoires classiques, comme le diabète et l’obésité.

Pour combattre les bactéries et les virus, la recherche met au point des médicaments. Que pouvez-vous faire contre les maladies causées par la pollution atmosphérique?
La question de savoir quelles sont les mesures les plus utiles est l’objet d’un vaste débat. En ce qui nous concerne, les résultats de notre étude ont, par exemple, contribué à la définition de valeurs limites pour la poussière fine. Pour moi, le plus beau a été de réussir à montrer que l’amélioration de la qualité de l’air était synonyme d’avantages pour la santé de la population. Cela nous a permis de confirmer l’action des politiques: les mesures qu’ils avaient prises étaient vraiment utiles. Il s’agit maintenant de contenir les émissions de polluants liées au trafic ou, mieux encore, de les abaisser. Ce qui suppose, évidemment, d’être prêt à investir dans les transports publics.

Les différences d’origine génétique doivent être prises en considération

Vous analysez le patrimoine génétique des participants à l’étude. Quel rôle joue-t-il dans les maladies imputées à la pollution de l’air?
Qu’une maladie se déclare ou non dépend de nombreux facteurs. Certains d’entre eux, comme les facteurs environnementaux et le style de vie, ne dépendent pas du patrimoine génétique. La recherche y a rarement prêté attention jusqu’ici. Avec l’étude SAPALDIA, nous aimerions changer cela. Mais nous nous intéressons aussi aux raisons pour lesquelles certaines personnes sont plus sensibles que d’autres aux polluants atmosphériques. Ces différences d’origine génétique doivent être prises en considération lorsqu’il s’agit de définir des valeurs limites pour la pollution de l’air. Les maladies chroniques auxquelles nous avons affaire sont très complexes: souvent, ce n’est pas un gène qui est en cause, mais différents facteurs de risque génétiques.

Partir de la génétique ne vous permet guère d’avancer?
Il ne s’agit pas de développer des tests génétiques pour certaines maladies chroniques. Nous aimerions décrypter les mécanismes des affections et mieux comprendre ce qui se passe lorsqu’une maladie se développe à cause de la pollution atmosphérique. Grâce à nos analyses génétiques, nous nous rapprochons peu à peu de cet objectif.
Avec l’étude SAPALDIA, nous avons vu, par exemple, que pour certains gènes impliqués dans les processus inflammatoires, les personnes particulièrement sensibles présentaient d’autres variantes que les personnes en bonne santé. Nous en concluons que les processus inflammatoires jouent un rôle important dans l’apparition de la maladie. Par ailleurs, nous avons démontré que dans le cas de l’asthme chez l’enfant, les gènes impliqués n’étaient pas les mêmes que chez l’adulte. Du point de vue génétique, il s’agit donc de deux affections différentes, avec des mécanismes spécifiques.

Vous gérez une «biobanque» pour l’étude SAPALDIA. De quoi s’agit-il?
Une biobanque collecte du matériel génétique prélevé sur des donneurs et rattaché à leurs données cliniques. Plus il y a de donneurs et plus on observe sur le long terme l’évolution de leurs maladies, plus la biobanque a de la valeur. La nôtre abrite 240000 tubes capillaires congelés. Pour des raisons de sécurité, nous les avons répartis de manière identique dans trois biobanques, à Bâle, Zurich et Genève. Ce travail a occupé plusieurs étudiants pendant des semaines. Dans l’industrie, il aurait été assuré par des robots, mais nous ne pouvons pas nous en offrir dans le cadre de la recherche académique. Je pense d’ailleurs que l’un des grands défis de l’avenir sera de forger des partenariats public-privé.

Y en a-t-il d’autres que vous devriez relever pour un projet d’aussi grande envergure et de si longue haleine?
Tout tourne autour des réseaux. Pas seulement chez nous: la tendance se dessine dans le monde entier. Dans les conglomérats de la recherche médicale –souvent dirigés par l’Etat– nous autres chercheurs devons travailler de manière toujours plus interdisciplinaire. Je trouve qu’il s’agit d’une bonne chose, car c’est le seul moyen pour avancer et dépasser les limites que l’on fixe aussi bien aux sciences fondamentales qu’à l’épidémiologie. Ensemble, nous pouvons aussi exploiter de manière efficace le vaste potentiel de recherche que recèle notre biobanque.
Vu l’importance des coûts, c’est quelque chose que nous devons à la société. Mais pour les responsables des études, la situation n’est pas toujours facile: on passe 90% de son temps à organiser, alors que l’on est jugé d’après ses publications, pour lesquelles on ne dispose que des 10% restants.
 

EN BREF
L’étude SAPALDIA

SAPALDIA est l’acronyme de Swiss Cohort Study on Air Pollution and Lung and Heart Diseases in Adults. Dans le cadre de cette étude de cohorte, des épidémiologues, médecins, biologistes et statisticiens analysent l’impact de l’environnement, du style de vie, des conditions sociales et des gènes sur la santé de la population suisse. Depuis 1991, les chercheurs collectent du matériel biologique et des données relatives à la santé de 10000 sujets recrutés au hasard. Ces derniers sont domiciliés à Aarau, Bâle, Davos, Genève, Lugano, Montana, Payerne ou Wald.

* Textes parus dans Horizons n°89 de juin 2011, magazine du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS).

Opinions Contrechamp Ori Schipper

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