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Les malades traités comme des criminels

AGORA PSYCHIATRIE (I) • En France, la nouvelle procédure d’hospitalisation sous contrainte inquiète les soignants.

«L’économie n’est que la méthode; l’objectif est de changer l’âme.» Doit-on voir dans la réforme du cadre juridique des soins psychiatriques imposée par le gouvernement Sarkozy une mise en application de cette citation thatchérienne? Les professionnel-le-s français-es du soin psychique n’ont pas célébré le 1er août 2011, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation sur les soins psychiatriques sans consentement. Cette loi, annoncée depuis plus de deux ans mais bâclée par le gouvernement, semble le fruit du délire paranoïaque sarkozyste qui souhaite «sécuriser» les hôpitaux – entendez «enfermer les fous» – depuis un fait divers en 2008 impliquant dans un homicide un patient en fugue.
Les soignant-e-s s’inquiètent en particulier de la modification de la procédure pour l’hospitalisation sous contrainte, à la demande d’un tiers ou d’un-e représentant-e de l’Etat, qui rend obligatoire une audience devant un juge pour poursuivre l’hospitalisation au-delà de quinze jours, et de la possibilité nouvelle d’imposer des soins à domicile ou ambulatoires sous peine d’être hospitalisé en cas de non-suivi du traitement. Dans tous les cas, la multiplication exponentielle des formulaires, certificats médicaux et autres documents administratifs, ainsi que des processus d’évaluation, ne va pas contribuer à améliorer des conditions de travail déjà très dégradées dans la psychiatrie française.
Les effets de ces changements ne sont pas aisés à prédire. Si l’on peut voir dans l’intervention systématique d’un-e «juge impartial-e» une amélioration de la protection des libertés et des droits des patient-e-s, un grand nombre de psychiatres craignent que ces nombreuses procédures créent surtout une amplification des obstacles pour sortir les patient-e-s de l’hôpital. En effet, il est dorénavant nécessaire d’attester le besoin de soins hospitaliers à trois reprises dans les quinze premiers jours d’hospitalisation, contre une seule fois auparavant. Ainsi, même si l’on peut espérer que les juges qui prendront une décision après deux semaines sauront tenir compte du caractère évolutif des difficultés psychiques d’un individu, les magistrat-e-s, qui ne sont pas des expert-e-s psychiatres, risquent d’avoir du mal à opter pour une sortie de l’hôpital après que deux psychiatres ont décidé à 24 heures, 72 heures et entre le 5e et le 8e jour d’hospitalisation que la personne présentait un danger.
Par ailleurs, si l’évaluation a été multipliée durant les deux premières semaines, les interventions de la justice s’espacent grandement par la suite avec un contrôle judiciaire exercé seulement tous les six mois. Soulignons encore que les audiences sont publiques! Voilà qui rend compte de la valeur accordée au secret médical, sacrifié sur l’autel de la sécurité, et ce, au détriment de citoyen-ne-s qui n’ont commis aucun crime et ne sont même pas suspectés d’en avoir commis un. En outre, l’évaluation par un juge n’est pas nécessaire pour cette nouvelle forme de contrainte que représente l’obligation de suivi psychiatrique ambulatoire, ni l’accord des psychiatres par ailleurs.
La confusion de cette réforme est probablement voulue. Tout le monde se sent visé comme coupable: les personnes malades sont traitées comme des criminel-le-s et les professionnel-le-s comme des complices irresponsables. La psychiatrie n’a jamais été indépendante des projets de contrôle social. Bien au contraire, il est possible de considérer sa création comme le pendant psychique d’un hygiénisme médical guère soucieux de préserver les libertés individuelles et la variété de leurs expressions. Sans nier l’existence d’abus de pouvoir, depuis un demi-siècle, les institutions psychiatriques ont tenté de donner une plus grande place au soin, tout en essayant de rassurer le reste de la population qui a peur des «fous». Mais l’état néolibéral policier se méfie maintenant de ces psys qui ne veulent plus jouer les geôlières-ers et prônent l’«alliance» entre médecin et malade. La révolution conservatrice continue.
 

* Texte paru dans Pages de gauche n°103, septembre 2011. www.pagesdegauche.ch
A voir: Un monde sans fous?, documentaire de Philippe Borrel, France, 2009, 67’.