«LE SIT A MAL MESURÉ LA SITUATION»
Suite à la parution lundi 5 septembre d’une page intitulée «Comment le SSP se trompe de cible», dans laquelle Julien Dubouchet Corthay exprime le point de vue du Syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT), nous tenons à répondre aux arguments de ce syndicat à propos de la fusion CIA (caisse de l’instruction publique et de l’administration) et CEH (caisse des établissements hospitaliers).
1. Le SIT se garde bien – et pour cause – de rappeler les promesses prodiguées au début des travaux sur la fusion par le conseiller d’Etat David Hiler, selon lesquelles les acquis en matière de conditions de retraite des membres des deux caisses seraient préservés. Avec le projet actuel du Conseil d’Etat, la grande majorité des membres de la future caisse devront en fait payer plus, travailler plus longtemps, pour des prestations nettement moindres!
2. Le SIT laisse entendre que le SSP serait contre le principe même de la fusion. C’est faux! Le SSP ne s’est nullement prononcé contre le principe de la fusion; ce qu’il refuse, par contre, ce sont les conditions de cette fusion.
Le projet de fusion met en lumière les aberrations du système du 2epilier, qu’il faut combattre
3. Contrairement aux reproches du SIT, nous distinguons parfaitement ce qui découle des lois fédérales sur les caisses publiques votées en 2010 de ce qui relève spécifiquement de la fusion. Il est vrai que le projet de fusion du Conseil d’Etat intègre directement les contraintes de la loi fédérale tant en termes d’augmentation du taux de capitalisation que de remise en cause des droits démocratiques des assurés. Cela ne doit pas nous empêcher de nous battre pour une autre prise en charge de cette recapitalisation (voir le point 8). Cela ne nous dispense pas non plus de dénoncer le caractère antisocial de ces lois fédérales et du 2epilier en général, et de nous positionner dans la perspective d’un système de prévoyance basé sur la solidarité. Le projet de fusion du Conseil d’Etat, sous contrainte des lois fédérales, implique un changement complet de philosophie, une rupture par rapport au système mixte «capitalisation-répartition» ou «capitalisation atténuée» que nous avons conquis par des luttes dans les années 1980; ce système mixte était parfaitement rationnel s’agissant de caisses publiques non menacées de liquidation d’un jour à l’autre: il n’obligeait pas les caisses à disposer en tous temps des capitaux nécessaires pour servir à vie des rentes aux pensionnés et transférer aux salariés du jour au lendemain tous les avoirs figurant sur leur compte. A l’évidence, le capitalisme et ses tenants ne tolèrent plus le moindre écart par rapport à la norme qui doit être à terme celle d’une capitalisation intégrale des caisses (ou du moins s’en rapprocher fortement) au prétexte fallacieux que plus on accumule de capitaux, plus les prestations seraient garanties. Rappelons que la CIA a perdu à elle seule 1milliard lors de la crise 2007-2008.
4. En disant que nous ne pouvons rien faire contre ces lois fédérales et leurs effets, le SIT se soumet par avance à leurs conséquences, à savoir des mesures d’assainissement à répétition sur le dos des salariés et pensionnés de la future caisse; celles-ci sont d’ores et déjà programmées si l’on veut atteindre un taux de capitalisation de 75% (auxquelles il faut ajouter 15% de réserves conjoncturelles) à l’horizon 2030, et ceci, dans un contexte de marasme boursier, de volatilité extrême des taux de change (d’où pertes sur tous les placements en dollars et euros), de crises financières chroniques et de ralentissement économique mondial. Le conseiller d’Etat Hiler nous annonce déjà qu’au vu de l’évolution récente, certains paramètres du projet pourraient être rediscutés (cf. Tribune de Genève du 10 août 2011).
5. C’est pourquoi, quand le SIT prétend qu’on a sauvé dans cette fusion la primauté des prestations, la répartition de la cotisation 2/3 Etat-1/3 salariés, etc., il présente tout cela comme des éléments fermes et durables et feint d’ignorer que ce projet de fusion marque une rupture et qu’il mettra en question sur la durée tous ces éléments prétendument sauvés. Avec sa position de résignation, le SIT s’inscrit dans une perspective bien connue, celle du moindre mal et de la limitation des dégâts qui, d’échéance en échéance, finira par attaquer l’essentiel en matière de conditions de retraite.
6. Le SIT voudrait nous faire croire que tout dans la gestion des caisses publiques ne bénéficie en dernier ressort qu’aux membres. C’est un point de vue singulier qui ne saurait expliquer pourquoi les milieux possédants de ce pays tiennent tant à soumettre les caisses publiques à des conditions de capitalisation renforcées, y compris dans le contexte actuel de marasme financier. Les nouvelles lois fédérales impliquent à terme une ponction de 43 milliards supplémentaires au détriment des assurés et des contribuables (certains parlent de 6 milliards pour la caisse fusionnée); ces accumulations forcées de capitaux prétéritent la consommation populaire et l’économie productive, mais sont très profitables pour les grandes banques et fonds d’investissement qui recevront des commissions très rémunératrices pour placer ces capitaux sur les marchés financiers.
7. Cette course à l’accumulation de capitaux est non seulement aberrante parce qu’elle nous expose toujours plus fortement aux crises boursières et financières, mais elle est aussi foncièrement prédatrice et totalement contraire à nos intérêts de salariés: ces capitaux devront impérativement être rentabilisés et vont renforcer toutes les tendances spéculatives sur les marchés financiers qui mettent sous pression emplois, salaires et conditions de travail et contraignent les Etats eux-mêmes à adopter des politiques d’austérité drastiques au détriment des conditions de vie de leur population.
Les assurés ne doivent pas supporter 60% de la recapitalisation
8. Le problème des nouvelles lois fédérales, c’est principalement la recapitalisation à laquelle elles nous contraignent. Celle-ci est encore une fois absurde, le SIT n’en disconvient pas. Par contre, le SIT ne dit pas un mot sur le fait que l’Etat ne participe qu’à hauteur de 40% au maximum à cette recapitalisation, tandis que les membres devront supporter une charge de 60% sous forme de baisses des prestations et d’augmentation des cotisations. Dans plusieurs cantons pourtant, l’Etat a recapitalisé intégralement les caisses de pension. Il faut rappeler qu’à Genève, durant plus de trente ans, l’Etat a pu faire de très fortes économies sur ses contributions tant à la CIA qu’à la CEH, grâce au nouveau système mis au point en 1980 par le père de l’AVS, le PrKaeser. Il est clair qu’une prise en charge intégrale par l’Etat de cette recapitalisation, ou au minimum de 2/3 de celle-ci, sous des formes à définir pour qu’elle soit supportable, réduirait déjà singulièrement les sacrifices qu’on exige des salariés et pensionnés dans cette fusion.
9. Concernant la remise en cause de la solidarité intergénérationnelle, il est vrai que la déconnection entre la fixation de la cotisation (du ressort exclusif de l’Etat) et la détermination sur cette base des prestations par le comité de la caisse (lequel est tenu de préserver en toute priorité l’équilibre financier de la caisse sur la base des objectifs de capitalisation à atteindre) découle de la loi fédérale sur la gouvernance des caisses. Par contre, les déclarations de certains responsables selon lesquelles «les pensionnés n’auraient pas assez payé par rapport à ce qu’ils reçoivent», sont inacceptables. Hormis le fait que les pensionnés actuels ont contribué en tant que salariés à financer les retraites des pensionnés antérieurs ainsi que leurs propres pensions, ces déclarations indiquent bien dans quel sens on se dirige, tout comme le fait que son projet de fusion frappe de plein fouet les jeunes salariés. Ces tentatives d’opposer salariés et pensionnés, jeunes et vieux, et de rompre la solidarité entre eux caractérisent toutes les politiques de régression sociale en matière de retraite.
Quels avantages le projet de fusion apporterait-il aux bas salaires?
10. Le SIT prétend que les bas salaires verraient leurs prestations de retraite augmentées dans le cadre de cette fusion. Il n’en est rien: dans tous les cas de figure, les salariés sont perdants à âge de retraite égal. D’autre part, il faut bien voir qu’une bonne partie des personnes qui se situent dans les plus basses classes salariales ne verront pas la couleur de la moindre augmentation. Toutes les personnes ayant interrompu leur activité professionnelle ou ayant travaillé à temps partiel –en majorité des femmes– sont dans ce cas. Rappelons qu’en 2009, 22,5% des pensionné-e-s de la CEH, dans leur grande majorité des femmes, percevaient une rente mensuelle inférieure à 1000francs (en moyenne 620francs).
11. Enfin, le SIT ne dit pas un mot des cotisations des bas salaires qui vont exploser, contrairement à celles des plus hautes classes. Les salariés situés en classe7, annuité22, affiliés à la CEH verront ainsi leur cotisation augmenter de 53% entre 2010 et 2018 (classe 20: +34%). Cette augmentation faramineuse rend dérisoire les maigres augmentations de prestations concédées à condition de travailler et cotiser plus longtemps. Or, ces cotisations seront perçues intégralement ces prochaines années, peut-être même avec des suppléments en cas de mesures d’assainissement, tandis que les prétendues augmentations de prestations ne seront effectives que dans dix, vingt ou trente ans et risquent bien d’être fortement rabotées d’ici là.
Ce que le SIT ne dit pas
12. Le SIT ne dit rien non plus des baisses des rentes pour enfants, pour conjoints survivants ou des exorbitantes réduction de rentes en cas de retraite anticipée. Tout est centré sur la prise en compte de la pénibilité selon laquelle une partie des salariés pourraient bénéficier d’un maintien de l’âge pivot à 60ans. Tout cela ne saurait faire oublier que pour tous les autres, l’âge pivot passerait à 63ans. De plus, les critères de prise en compte de la pénibilité ne sont pas encore clairs et une fois la fusion votée, cette prise en compte risque bien d’être remise en cause à l’avenir.
13. Il ne dit rien non plus du verrouillage des capitaux qu’implique la nouvelle loi fédérale sur la gouvernance des caisses: tous les droits des assurés sur les décisions concernant la gestion de leur caisse sont de fait supprimés, bien qu’il s’agisse fondamentalement de leurs salaires différés. Même la gestion paritaire du futur comité est sévèrement encadrée puisque l’objectif prioritaire du comité sera d’assurer l’équilibre financier et de renforcer continûment le taux de capitalisation, quitte à imposer programme d’assainissement sur programme d’assainissement au détriment des salaires et prestations, crise du capitalisme oblige!
14. Enfin le SIT prétend s’être «battu» pour cette réforme; il faut remarquer à ce propos que cette «bataille» s’est toujours déroulée en coulisse dans les négociations avec le Conseil d’Etat mais que le SIT, et la majorité du Cartel intersyndical de l’Etat, se sont par contre systématiquement opposés à toute convocation de l’assemblée générale des personnels concernés pour informer ceux-ci du contenu de cette fusion, leur soumettre le projet et les mobiliser pour défendre leurs intérêts. Avec cette position, le SIT, et la majorité du Cartel intersyndical, ont remis en cause le principe même des assemblées générales du personnel qui ont permis d’adopter des mesures de lutte et de défendre efficacement les intérêts de celui-ci durant les années 1980 et 1990.
15. Dans l’immédiat, le SSP se bat pour une participation plus forte de l’Etat à la recapitalisation. Il va s’efforcer d’informer largement le personnel sur les conséquences de cette fusion et de le mobiliser pour défendre ses intérêts.
* Militant syndical, ancien président central du SSP.
1 La prise de position du SIT est parue en page «Contrechamp», dans Le Courrier du 5septembre 2011.