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LA RELIGION À L’ÉCOLE VAUDOISE

VOTATIONS • Soumise aux urnes le 4 septembre prochain, la loi sur l’école vaudoise intègre un cours d’«éthique et cultures religieuses» obligatoire. Quelles sont les garanties d’une approche neutre et non confessionnelle? Tour d’horizon par Philippe Gilbert, de «Pages de gauche».

Alors que la nouvelle Loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) va être soumise au vote populaire vaudois le 4septembre prochain, accompagnée de la motion Schwab rendant obligatoire une période hebdomadaire d’enseignement des religions dans la grille horaire, un rapide survol de la question religieuse en milieu scolaire nous semblait s’imposer. Pour ce faire, nous étions accompagné par une doyenne d’établissement primaire et secondaire vaudois, qui a souhaité garder l’anonymat.

Neutralité constitutionnelle et programme «cathéchétique»

Il est régulièrement entendu dans les débats publics sur l’enseignement du religieux en milieu scolaire obligatoire que l’école est neutre sur le plan confessionnel et politique (art.45 de la Constitution vaudoise), ce qui signifie que tout prosélytisme doit y être proscrit. Dès lors, l’enseignement chrétien «histoire biblique –cultures religieuses», dispensé actuellement dans le canton de Vaud, ne peut-être que facultatif, ce que rappelle l’art.53 de la Loi scolaire vaudoise (LS). Facultatif pour les élèves mais obligatoire dans la grille horaire des premières années primaire, jusqu’en 6e année.
Maintenant, puisque cet enseignement doit être «conforme aux principes du christianisme» (art.53), un enseignant peut, pour des motifs de conscience, refuser de le donner. N’y a-t-il pas lieu déjà de se questionner sur le caractère obligatoire d’un enseignement affichant sans équivoque sa dimension religieuse? Les manuels Enbiro (Enseignement biblique et interreligieux romand, ndlr) Au fil du temps utilisés pour ces cours, et dont certain-e-s louent l’approche distancée et critique des religions, n’en restent pas moins un support pédagogique d’orientation chrétienne, visant, entre autre, des objectifs «éthiques et spirituels», comme précisé dans la brochure de présentation.
Quoi d’étonnant si l’on constate le nombre de théologien-ne-s et d’acteurs religieux ayant collaboré à l’entreprise! Que signifie dès lors cet enseignement dans des établissements, comme celui que nous avons visité, qui comptent en leur sein plus de 50% d’élèves issus de cultures autres que chrétiennes?
Soit les enfants en sont dispensés, sans qu’on puisse en contrepartie leur offrir d’autres cours, soit elles-ils suivent pieusement une histoire biblique qui laisse bien évidemment peu de place aux autres traditions religieuses, les leurs…

Prosélytisme à l’école?

La nouvelle Loi sur l’enseignement obligatoire contient un amendement du député Claude Schwab (PS) portant sur une révision de l’art.53 de la LS et du cours d’histoire biblique. Cette initiative propose notamment d’accorder une plus grande place à l’enseignement des religions autres que chrétiennes, s’accordant ainsi sur l’actualité internationale et l’évolution du religieux en Suisse.
Malheureusement, à l’«histoire biblique –cultures religieuses» succèderaient les cours d’«éthique et cultures religieuses», intitulé qui fait craindre que l’enseignement ne se transforme en cours de morale chrétienne et de dialogue interreligieux, conservant ainsi pleinement son caractère confessionnel. Comment le perdrait-il d’ailleurs si les manuels scolaires Au fil du temps (pour lesquels M.Schwab est impliqué en tant qu’éditeur) servent toujours de support pédagogique? La garantie d’une approche neutre ne reposerait dès lors que sur la seule déontologie de l’enseignant-e. Pis encore, avec cette motion, l’enseignement deviendrait obligatoire pour tous les élèves! L’agence de presse protestante Protestinfo ne s’y était d’ailleurs pas trompée en titrant le 28septembre 2010, à propos de la motion Schwab: «Vers un enseignement interreligieux obligatoire».
En revanche, le statut obligatoire du cours d’éthique pourrait avoir le mérite d’entraîner l’abrogation de la directive112 du Département de la formation (DFJC). Celle-ci oblige tout-e directrice-eur d’établissement à accepter, durant les cours d’histoire biblique et une fois l’an, la visite dans les classes de primaire de représentant-e-s religieuses-eux de l’Eglise évangélique réformée et de l’Eglise catholique romaine, seules institutions reconnues de droit public par le canton.

L’Etat chez lui et l’Eglise… chez lui

La doyenne que nous avons interrogée, bien que n’en ayant jamais fait la demande, reçoit donc chaque année les visites du prêtre et du pasteur, contre lesquelles elle ne peut opposer aucun refus. Ils sont en terre conquise et les visites semblent être un dû. Durant les séances peuvent s’y produire parfois des scènes dignes d’un autre âge, où des prêtres au vocabulaire suranné et inadapté, glosent sur la vérité des Ecritures et le contenu du Paradis, ou bien se présentent comme «leur Père» à des élèves pour le moins perplexes. Cela prêterait à sourire si certain-e-s représentant-e-s religieuses-eux ne manifestaient, comme ce fut le cas il y a peu, leur franche opposition aux mariages interreligieux, et ce devant des élèves étrangers aux parents concernés par ces unions…
D’où, durant la séance, la nécessaire présence de l’enseignant-e en charge de rectifier par la suite, si nécessaire, les propos du ou de la religieuse-eux. En somme, ces visites sont, par leur contenu, mais surtout par leur simple existence, l’occasion d’un prosélytisme religieux cautionné par l’Etat.
Puisque la constitution vaudoise dit tenir «compte de la dimension spirituelle de la personne humaine», ce n’est que très logiquement qu’elle doit préparer ses ouailles à comprendre et apprécier la parole divine. Le canton de Vaud est un cas parmi d’autres1 de cette présence du religieux au sein de l’école obligatoire. Maintenant, des protestations encourageantes se font jour, comme au sein de certaines écoles neuchâteloises, où le mot «laïcité» ose enfin être prononcé.
 

Les relations entre les Eglises et l’Etat de Vaud
Le canton de Vaud ne connaît pas la séparation des Eglises et de l’Etat. Ses autorités prêtent encore serment à la cathédrale de Lausanne et prennent une part active et officielle, pour certaines, à des manifestations publiques à caractère religieux. Les Eglises réformée et catholique, seules institutions reconnues de droit public, sont encouragées par l’Etat à s’investir dans le domaine de la santé, de la formation, de l’action sociale, etc. Considérées comme véritable ciment social, et vectrices «des valeurs fondamentales de la société» (art.169 de la Constitution vaudoise), les Eglises bénéficient, pour mener leur mission à bien, du financement de l’Etat et des communes. En somme, de par le rôle et la responsabilité que le canton confère à ces Eglises, il légitime une forme de domination idéologique religieuse, et pérennise une dépendance mutuelle entre le spirituel et le temporel… PG

Texte extrait du n°102 de Pages de gauche, août 2011. La revue socialiste consacre son dossier du mois à la religion, la laïcité et leurs rapports au socialisme. www.pagesdegauche.ch
1 A l’instar des cantons de Berne, Zurich et du Jura, ndlr.