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Parqués dans le désert

ASILE • Témoin du quotidien dans les camps de réfugiés en Tunisie, Alain Bovard plaide pour un plus large accueil des personnes déplacées par le conflit libyen.

Je rentre de Tunisie où j’ai pu, quatre jours durant, visiter les camps de réfugiés situés à la frontière libyenne. J’y ai rencontré une bonne partie de la misère du monde, mais, n’en déplaise à Madame Sommaruga, aucun «glandeur»1. Je n’y ai croisé que 4000 personnes qui vivent en plein désert, dans des conditions à la limite du supportable. Dans les camps, l’eau potable est salée, la nourriture immangeable parce que trop épicée, et la température élevée rend la vie dans des tentes mal aérées difficilement supportable. Enfin, les soins médicaux sont totalement insuffisants pour lutter contre les maladies chroniques, les traumatismes liés à la guerre, ou pour assurer des soins dignes de ce nom aux nouveau-nés.
Les réfugiés qui vivent dans ces camps ont fui les bombardements de Tripoli ou de Misrata. Ils sont parqués à quelques kilomètres de la frontière, dans une zone stratégique aussi bien pour Tripoli – le camp est placé en bordure de la seule route terrestre encore ouverte vers la capitale libyenne – que pour l’économie locale qui vit depuis toujours de petits trafics avec la Libye voisine.
Des hommes, des femmes et près de 700 enfants sont condamnés à attendre sous la chaleur du désert que l’on trouve une solution durable à leur situation en les réinstallant dans un pays d’accueil. Ils ne peuvent en effet envisager rentrer dans leur pays d’origine déchiré par la guerre civile (Somalie, Darfour) ou dans lequel ils font partie d’une minorité opprimée (Ethiopie).
Le 24 mai dernier, le camp principal de Shousha a été attaqué et détruit aux deux tiers par la population locale qui voyait dans les réfugiés un obstacle à son trafic transfrontalier quotidien d’essence ou de matériel électronique. L’armée tunisienne, dépassée par les événements et mal préparée, n’a pu empêcher ni la mort de plusieurs personnes, ni la destruction de l’hôpital militaire installé par le gouvernement marocain, ni encore le pillage des réserves de nourriture du camp.
Les personnes que j’ai rencontrées n’ont qu’une idée en tête, trouver le moyen de quitter ce lieu maudit à leurs yeux, pour venir trouver le calme et la sécurité en Europe. Les interminables démarches qui devraient leur permettre de trouver un pays d’accueil les incitent à chercher d’autres solutions plus rapides même si elles sont potentiellement dangereuses. Ainsi, toutes les nuits, des hommes et des femmes quittent clandestinement le camp et retournent en Libye pour chercher à
rejoindre l’Italie et l’Europe par la mer.
Ce sont aussi ces personnes que l’on retrouve dans les centres d’enregistrement de la Confédération. Il est donc pour le moins regrettable que des déclarations à l’emporte-pièce les assimilent à des «glandeurs» qui n’ont rien à faire avec des réfugiés. Nos responsables politiques, prompts à exploiter leur détresse pour s’attirer les sympathies des citoyens, feraient bien de réfléchir quelque peu avant de mettre tout le monde dans le même panier.
La Tunisie, dont de nombreux signaux économiques sont au rouge, notamment un taux de chômage dix fois supérieur au nôtre, a accueilli sans broncher près de 600 000 réfugiés depuis mars. Aider quelques centaines d’entre eux à rejoindre la Suisse est un devoir que notre pays
se doit de remplir, même si cela implique qu’un peu d’ivraie se mêle au bon grain et que quelques profiteurs (par ailleurs facilement repérables) viennent perturber notre quiétude.
Le Haut Commissariat pour les réfugiés est actuellement à la recherche de places d’accueil pour environ 3500 personnes. La Suisse a certes déjà fait l’effort d’en accueillir une petite centaine.
Personnellement, je ne vois là aucune excuse pour renvoyer systématiquement à nos frontières ceux qui y sont parvenus par leurs propres moyens, parfois au péril de leur vie, au lieu
d’emprunter les voies officielles.
Il est urgent pour la communauté internationale, la Suisse en tête, de se mobiliser pour mettre fin aux souffrances subies par des personnes victimes à la fois de la guerre en Libye et de violations des droits humains dans leur pays d’origine, dusse-t-il, parmi eux, se cacher quelques «glandeurs»!

* Juriste auprès de la Section suisse d’Amnesty International.
1 Déclaration de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga au SonntagsBlick, 25 juin 2011.

Opinions Agora Alain Bovard

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