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Migros s’offre un greenwashing

DISTRIBUTION • Surfant sur le «développement durable», label WWF à l’appui, la stratégie marketing Migros colle mal avec les pratiques du géant orange.

On connaît l’extraordinaire capacité d’adaptation du capitalisme, qui est sans doute la meilleure explication de sa surprenante stabilité. L’appât du gain menace l’environnement? On fera de nouveaux profits avec la défense de la planète. L’industrie nucléaire voit sa crédibilité entachée? On réorientera les investisseurs vers le solaire où l’éolien, où de nouvelles fortunes sont à faire…
Dans le contexte d’une certaine prise de conscience écologique des consommateurs, on assiste donc à des réorientations de capitaux vers les nouveaux «marchés verts», ceux-ci offrant d’importantes perspectives de croissance. Ce mouvement s’accompagne naturellement de transformations dans le domaine du marketing, ce que les anglophones appellent le greenwashing. Le procédé est désormais adopté par toute structure, qu’elle soit privée ou gouvernementale, soucieuse de se donner une image responsable sur le plan écologique: il s’agit d’investir massivement dans la communication «verte», quand bien même l’intérêt pour l’environnement du produit ou du service fourni est minime, voire négatif. On parle ainsi de greenwashing lorsqu’un exploitant de centrale nucléaire loue les mérites d’une technologie «écologique» car «ne produisant pas de CO2», ou lorsqu’un constructeur de voiture prétend que ses modèles électriques sont «non polluants», oubliant de préciser la provenance de l’énergie électrique nécessaire au fonctionnement du véhicule.
La Suisse n’est évidement pas épargnée par cette évolution «durable» du bon vieux marketing traditionnel, et la dernière campagne de Migros intitulée «Quiz-mania» le confirme. Cette opération se déroulant du 10mai au 20juin fait suite à la distribution des «nanos» dont chacun se souvient, et qui avait donné lieu à des critiques virulentes. La Fédération romande des consommateurs (FRC) a ainsi déclaré, dans un communiqué daté du 22février: «Après la Billesmania, la Dominomania, la Stickermania, Migros continue à utiliser nos enfants à des fins marketing avec la Nanomania. La dernière campagne Migros a franchi une nouvelle étape et va clairement trop loin. La FRC dit Basta!». Outre des griefs sur l’absence de valeur pédagogique des personnages en plastique, la FRC dénonçait le «non-sens écologique» des nanos: «Les nanos sont un contresens à la politique de développement durable prônée par la Migros. Ces jouets fabriqués en Chine sont voués à être jetés dans la nature à la fin de cette campagne à courte vue.» S’engouffrant dans la polémique, la grande presse a également ouvert ses colonnes à la critique: le 25février, Le Matin publiait un article intitulé «Les Nanos sont moches, inutiles, mais bons pour les enfants», tandis que sous la plume de Grégoire Corthay, 20minutes titrait «Les Nanos de la Migros peuvent être dangereux!». Si on se rappelle que la grande distribution est l’un des plus gros annonceurs de la presse écrite, on peut déceler ici une marque bienvenue d’indépendance rédactionnelle.
Cette nano-polémique n’a pas échappé au service marketing du géant orange, qui n’a pas tardé à rectifier le tir en mobilisant la caution environnementaliste privilégiée de la Migros, le WWF. Ce n’est pas la première fois que la coopérative (sic) fait appel au WWF: les deux organisations sont intimement liées depuis plusieurs années au travers de nombreux labels «verts» et groupes de travail tels que le WWF Seafood group, le Global Forest & Trade Network Switzerland, etc. On le constate, en matière de greenwashing, l’une des stratégies les plus efficaces consiste à associer son nom avec celui d’une organisation reconnue comme légitime en matière de défense de l’environnement. Si l’avantage d’une telle opération pour le distributeur est évident, la réciproque semble moins assurée: que vient faire le respectable WWF dans cette galère? Sans doute l’ONG a-t-elle estimé que l’importante visibilité que lui offrait son partenariat privilégié l’emportait sur une hypothétique baisse de crédibilité; au vu de l’absence quasi totale d’indignation du public face à cette alliance douteuse, le calcul semble avoir été correct. Rappelons encore que ce n’est pas la première fois que le panda du WWF est pris en flagrant délit de greenwashing: en 2009, l’ONG était par exemple prête à accepter que l’on parle d’un soja OGM «responsable». Siégeant au sein de ces «tables rondes» avec Monsanto, Syngenta et d’autres multinationales, le WWF sert désormais de caution «verte» aux industriels de l’agrobusiness et aux promoteurs des pires monocultures. Quand on sait, comme le révèle Fabrice Nicolino dans son livre Qui a tué l’écologie, que le WWF a été fondé par des notables anglo-saxons qui s’inquiétaient des conséquences du prélèvement sans limites de la faune sauvage sur la possibilité de se livrer à la chasse, on comprend peut-être mieux ce qu’est réellement cette association.
En réalité, la démarche de Migros serait acceptable –voire souhaitable– si elle n’entrait pas en contradiction frontale avec les pratiques du distributeur. On lit ainsi que l’opération «Quiz-mania» prétend «[viser] aussi la sensibilisation du public à un mode de vie respectueux du développement durable»1. Dans la brochure explicative, le consommateur est invité à privilégier des produits locaux et de saison, tandis que le bio est recommandé. Pour reprendre la jolie formule de Jacques Poget, l’un des rares chroniqueurs à avoir relevé l’hypocrisie de la démarche2, «l’écologie, c’est dans les brochures, pas dans les rayons!». Asperges de Hongrie, fraises d’Espagne, melons «charentais» du Maroc… à en croire les étals, la révolution éco-socialiste de Migros ne semble pas avoir été menée tout à fait à son terme. Et il faudrait encore évoquer les conditions de production des fruits et légumes en question: fraises d’Espagne cultivées par des esclaves immigrés privés de droits, dattes produites sur des terres palestiniennes confisquées… Quant au lait, le symbole d’un produit local de «qualité suisse», Migros refuse toujours de le vendre à un prix équitable: alors que le revenu paysan est en chute libre depuis des années, le grand distributeur orange affiche les marges les plus élevées du commerce de détail en Europe! Une situation amenée à rester «durable»?
Jusqu’où peut-on aller dans le hiatus entre discours et pratiques? Combien cela coûte-t-il, de se refaire une virginité écologique? Outre Migros, quelles entreprises financent le WWF? Gageons qu’au «Quiz-mania», on ne risque pas de tomber sur ces questions.
 

Vice-président du POP vaudois
1 Communiqué de presse de la Migros, 9mai 2011
2 Emission Les Matinales, Espace2, 14mai 2011.

Opinions Agora Julien Sansonnens

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