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Le Courrier L'essentiel, autrement

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L’HOMME QUI VOULAIT ÉLIMINER HITLER

COMMEMORATION • Le Suisse Maurice Bavaud a été exécuté il y a 70 ans, le 14 mai 1941 à Berlin. Seul, il avait tenté d’assassiner Hitler à Munich le jour précédent la «Nuit de Cristal», en 1938. Le 13 mai, à Neuchâtel, un symposium en mémoire de Bavaud consistera à interroger l’acte de transgression.
Maurice Bavaud. 1937. DR

Maurice Bavaud est né le 16janvier 1916. Originaire de Neuchâtel, il est l’aîné d’une famille de sept enfants. En 1935, après un apprentissage de dessinateur technicien, il entreprend des études au Séminaire de la Congrégation du St Esprit en Bretagne pour devenir prêtre et missionnaire.
Le 9 novembre 1938, un jour avant la Nuit de Cristal, il se rend à Munich où une marche commémorative est organisée par les nazis. Armé de son pistolet, il tente de tuer Hitler, mais diverses circonstances l’en empêchent. Il sera arrêté plus tard, dans le train qui doit le ramener en Suisse. Il est alors âgé de vingt-deux ans. Plus d’un an après son incarcération, le 19décembre 1939, il est condamné à mort par le Tribunal populaire de Berlin. Motivant son acte, Bavaud déclarera durant l’audience qu’il considère Hitler comme un danger pour l’humanité, pour les églises chrétiennes d’Allemagne et pour l’indépendance de la Suisse. Le 14mai 1941, la justice nazie l’assassine sous la guillotine dans la prison de Berlin-Plötzensee.

L’attitude des autorités suisses

A l’époque, la population suisse ne connaît pas Maurice Bavaud et ignore tout de son acte. Rien ne filtre dans la presse. Les parents et les proches sont tenus au silence absolu sur l’affaire pendant toute la période qu’a duré la guerre. On craint en effet des problèmes avec l’Allemagne nazie, surtout durant les premières années de guerre, où il était question d’une attaque de la Suisse par les troupes hitlériennes.
De leur côté, les autorités suisses n’entreprennent rien pour leur concitoyen. L’ambassadeur de la Confédération à Berlin qualifie l’acte du jeune Bavaud d’effroyable, et le Conseil fédéral refuse un possible échange de prisonniers avec des saboteurs allemands. La police fédérale collabore même avec la Gestapo, conduisant à sa demande des interrogatoires avec les camarades de classe du condamné à mort. Les rapports de police font état des soupçons qui ne sont pas fondés et de calomnies, diffamant Maurice Bavaud et sa famille.
En 1955, les autorités suisses engagent une démarche de réhabilitation auprès des autorités allemandes à Berlin. En première instance, celles-ci condamnent Maurice Bavaud à titre posthume à cinq années de prison pour tentative d’attentat, puis l’acquittent une année plus tard, en seconde instance –avec un dédommagement pour ses proches– estimant qu’il s’agissait d’un acte préparatoire non puni par la loi. Les motivations de son geste n’ont à aucun moment été prises en considération, contrairement à l’appréciation d’autres tentatives d’assassinat, comme celle du 20juillet 1944.
Ce n’est que le 7novembre 2008, à l’occasion du 70eanniversaire commémorant l’action de Maurice Bavaud, que le Président de la Confédération Pascal Couchepin a tenu une allocution à sa mémoire, reconnaissant publiquement son acte et ses motivations. C’est un pas décisif en faveur du processus de réhabilitation de Maurice Bavaud. Manquent cependant encore des excuses, à lui et à sa famille, pour l’attitude des autorités de l’époque, et une condamnation de la collaboration de la police fédérale avec la Gestapo.

Maurice Bavaud: un «héros»?

Si c’est pour dire le courage civil absolu d’un résistant qui est prêt, dans l’urgence, à mettre sa propre vie en jeu, sans chercher à en tirer un quelconque avantage pour lui-même, alors oui, on peut dire de Maurice Bavaud qu’il fut un «héros». Dans la tradition de l’humaniste Friedrich Schiller, l’écrivain Rolf Hochhut le voit comme un «Tell 38», et le professeur de théologie Stephan Pfürtner –lui aussi jugé à l’époque par le Tribunal populaire pour résistance contre le pouvoir en place– le qualifie de «symbole helvétique de liberté». Un membre du groupe munichois de la résistance Rose blanche («Weisse Rose», des frère et sœur Scholl), a fait l’éloge de Bavaud qui n’a pas hésité à «sauter dans la brèche» pour les opposants allemands à Hitler. Pour le philosophe bâlois Hans Saner l’acte de Maurice Bavaud revêt une importance particulière à trois égards: 1. Il a incarné une forme de résistance transnationale dans un contexte fortement nationaliste. 2. Il a exercé cette résistance transnationale à titre individuel, sans être lié à aucun groupe et n’engageant que sa propre conscience –et c’est justement ce que craignait tout particulièrement Hitler. 3. Il a fondé son action politique dans un dévouement absolu au risque de sa propre vie, l’inscrivant dans un registre éthique ou religieux situé bien au-delà des considérations politiques.
Dans Killing Hitler, une monographie de l’historien anglais Roger Moorhouse parue en 2006 et qui recense tous les attentats connus contre Hitler, l’auteur consacre un chapitre entier à l’étudiant suisse, qu’il conclut ainsi: «Indépendamment de son amateurisme, Bavaud impressionne par son attitude personnelle et son courage. Un jeune homme de vingt-deux ans, qui décide d’affronter le puissant dictateur, le piste à travers la moitié de l’Allemagne, se procure une arme, s’entraîne au tir et s’approche à quelques mètres de sa cible –et tout cela sans aucune aide extérieure. Il a eu le courage et la force de concrétiser ses convictions par un acte, pendant que des millions d’autres individus dans toute l’Europe ne faisaient que se plaindre de cette tyrannie, sans oser bouger.»

L’exécution des tyrans: la solution?

La tradition religieuse et historique de l’humanité fournit moult arguments et exemples accordant une légitimité morale d’ultima ratio à des actes dirigés contre des tyrans qui constituent un danger pour l’humanité. Il suffit de songer ici au récit biblique de Judith et Holopherne, de citer les noms de Thomas d’Aquin et Dietrich Bonhöffer ou encore d’évoquer l’évêque Kurt Scharf, pacifiste convaincu, qui considère un tel acte comme une exception que seule une situation de violence peut justifier. L’Allemagne a reconnu la qualité de résistants aux auteurs des attentats contre Hitler du 20juillet 1944 et à Johann Georg Elser, qui a allumé une bombe lors du passage de Hitler dans une brasserie de Munich. Avec cette reconnaissance, la Suisse se place ainsi dans une tradition européenne toute légitime. Et elle peut se réjouir de constater que le Musée de la résistance allemande à Berlin rend hommage à l’action de Maurice Bavaud.

 

L’histoire d’une réhabilitation
En 1997, le Comité Maurice Bavaud a vu le jour, grâce à l’initiative des conseillers nationaux Paul Rechsteiner (dont les questions ordinaires à ce propos de 1997, puis de 2008, ont donné lieu à des réponses du Conseil fédéral) et Nils de Dardel, ainsi que de l’auteur de cet article, Peter Spinatsch. Le but de cette association est la réhabilitation morale et publique de Maurice Bavaud. Dans le cadre de cette réhabilitation morale, les considérations et les éléments thématiques et pratiques suivants nous paraissent importants:
• Le13 mai 2011, à l’occasion du 70eanniversaire de la mort de Maurice Bavaud, un symposium se déroulera à l’Université de Neuchâtel. Ce même jour, un monument à sa mémoire sera dévoilé dans sa ville natale (lire ci-contre).
• Auparavant déjà, une plaque commémorative avait été inaugurée sur la maison natale de Maurice Bavaud (14mai 1998), un symposium et une commémoration avaient eu lieu le 8novembre 1998, et une couronne fleurie avait été déposée dans la prison de Berlin-Plötzensee le 14mai 2003, réunissant le chargé d’affaires suisse et le directeur du Musée de la résistance allemande à Berlin pour un discours élogieux.
• Un séminaire consacré à Maurice Bavaud a eu lieu en mars 2001, à Königsbronn dans le Bade-Wurtemberg, où se trouve le mémorial de Johann Georg Elser.
• Quelques initiatives dans le cadre de l’enseignement de l’histoire à l’école mériteraient d’être développées (par exemple le matériel scolaire édité par les écoles zurichoises, ou la présentation des travaux de maturité consacrés à Maurice Bavaud et à la période nazie au Lycée Jean Piaget de Neuchâtel). Maurice Bavaud a également servi de sujet de séminaires et fait l’objet de travaux divers dont certains donnent un nouvel éclairage à prendre en considération (par exemple l’étude de Thomas Städeli).
• Répondant à un intérêt croissant du public, Adrien Bavaud, frère de Maurice, a organisé ces dernières années des visites guidées à travers leur ville natale, s’arrêtant devant la maison familiale, les écoles et les églises, près du port et de la chambre où Maurice a résidé avant son départ pour l’Allemagne.
• D’autres idées à forte valeur symbolique ont fait leur chemin, comme la création d’un timbre-poste spécial, ou la nouvelle désignation de noms de rues, chemins ou places (Simon Kälin a déposé en 2010 un postulat dans ce sens devant le conseil communal zurichois).
• Une biographie conséquente serait bienvenue, réunissant les travaux de Peter Hoffmann, Raymond Zoller, Rolf Hochhuth, et Nicolas Meienberg, et intégrant la documentation du symposium de 1998 ainsi que la revue Offene Kirche –Oekumenisches Forum (Eglise ouverte – Forum œcuménique) de 2008.
• A l’instar de ce qui a été fait en 2009 à la mémoire de Johann Georg Elser, il s’agit de stimuler de nouveaux projets, par exemple la réalisation d’un film ou d’une pièce de théâtre. Le film documentaire de Villi Hermann, Hans Stürm et Niklaus Meienberg en 1980 et l’émission de radio d’Otmar Hersche en 1998 avaient marqué les esprits.
• Des interrogations alimentent diverses thèses et rumeurs sur les motivations et la personnalité de Maurice Bavaud et sa tentative d’assassinat. Des questions se posent en particulier sur sa relation avec un camarade d’études rencontré au séminaire breton, accusé par la justice nazie d’être complice de la tentative d’assassinat, exécuté en 1943, à Plötzensee également. Les déclarations de Bavaud à ce propos renvoient à toute la problématique de la crédibilité des sources, en l’occurrence des comptes-rendus des interrogatoires de la Gestapo, où la torture était la règle pour extorquer des aveux. Une publication controversée de Klaus Urner se fait l’écho de ces rapports, et en tire des conclusions qui mettent en doute la santé mentale de Bavaud.
• Le nom de Maurice Bavaud ne figure pas sur la liste des martyrs du XXesiècle de l’Eglise catholique romaine. Pourtant, il était étudiant en théologie et il est entré en résistance justement parce que Hitler poursuivait et persécutait l’Eglise catholique. Bavaud appartient à ces témoins assassinés en raison de leur profession de foi déclarée –en paroles et en actes– contre le fascisme et en faveur de la dignité humaine, de la liberté et de la paix. Sa lettre d’adieu en atteste lorsqu’il écrit: «Je ne meurs pas stoïquement mais chrétiennement.»
A l’heure où nos murs crient l’exclusion, où l’altérité culturelle se perçoit comme une perversion, il est temps que s’incarne la mémoire de Maurice Bavaud1. P.S.
1 Citation extraite du Cahier du Symposium du 13mai 2011.

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SYMPOSIUM A NEUCHATEL
Que peut encore nous dire Bavaud?

Que reste-t-il à apprendre que l’on ne sache déjà de l’homme qui a tenté d’assassiner Hitler? Dans le contexte actuel d’exclusion, l’incarnation de la mémoire de Maurice Bavaud Symposium Maurice Bavaud paraît plus que jamais urgente. Un symposium se tiendra vendredi 13 mai, de 10h à 18h, à l’aula des Jeunes-Rives, à l’Université de Neuchâtel, en collaboration avec l’Institut d’histoire. Cinq conférences sont au programme: à 10h, «Le cas Maurice Bavaud, éclairage sur le contexte historique et politique», par Marc Perrenoud, historien au DFAE, qui a été conseiller scientifique de la «Commission Bergier»; à 11h, «Georg Elser: Je veux éviter la guerre», par Joaquim Ziller, directeur du Georg Elser Memorial Elser (adversaire allemand du nazisme, G. Elser fut l’auteur d’une tentative d’assassinat d’Hitler en 1939)); à 14h, «Est-il éthiquement légitime d’assassiner un tyran? Réflexions philosophiques et théologiques sur la question du tyrannicide», par DrPierre Bühler, docteur en théologie; à 15h, «Maurice Bavaud, un héros sans visage, en chacun de nous», par Duc Lê Quang, psychiatre et psychothérapeuthe; à 16h, «Exilet résistance de Maurice bavaud, ‘Héros ordinaire’ dans l’histoire du XXesiècle», réflexion à partir d’Hannah Arendt et de Günther Anders par Marie-Claire la philosophe Caloz-Tschopp.
Traduction simultanée des conférences (alld/fçs – fçs/alld). Entrée gratuite. Programme complet: www.maurice-bavaud.ch/symposium-13-mai-2011
CO

* Théologien catholique et responsable de paroisse, Peter Spinatsch est cofondateur et membre du Comité Maurice Bavaud. www.maurice-bavaud.ch
Traduction: Raymond Zoller et Anne-Marie Nicole.