Contrechamp

UNE STRATÉGIE SUBTILE DE MANIPULATION

OGM – Dans une lettre ouverte à Arnold Schori, responsable de la recherche génétique à l’Agroscope de Changins, un collectif suisse anti-OGM dénonce les orientations de la recherche nationale visant à «préparer l’introduction des plantes transgéniques sur le marché helvétique».

M. Schori, vous êtes chercheur à l’Agroscope de Changins et responsable des essais en plein champ de blé génétiquement modifié à Pully, dans le cadre du programme national de recherche PNR 59. Ce programme a été commandité par le Conseil fédéral suite au moratoire de cinq ans sur les cultures commerciales d’organismes génétiquement modifiés (OGM)1. Nous ignorons si votre mandat inclut un rôle de communicateur, toujours est-il que vous apparaissez et prenez la parole lors de chaque manifestation sur le site de Pully. Nous avons décidé de réagir aux propos que vous avez tenus lors du pique-nique de protestation du dimanche 5 avril 2009, et lors du passage de la caravane anti-OGM le dimanche 24 mai 2009.
– Vous dites que vous allez montrer les dangers des OGM, qu’il faut laisser faire la recherche publique. Nous disons que les «dangers des OGM» ne se limitent pas à des dangers environnementaux et sanitaires, aussi graves puissent-ils être, mais que le principal défaut des OGM est d’être brevetables, issus d’une technologie de pointe et non des savoir-faire paysans. Ainsi ils ne peuvent servir qu’au profit de leurs possesseurs, au détriment du reste du monde, notamment de la paysannerie qui est ou sera forcée d’utiliser ces semences. Que la principale question politique, celle de la servitude, est là et qu’elle est occultée.

Sur la question des disséminations, nous doutons que vous allez trouver quoi que ce soit: nous n’avons aucune confiance dans des recherches visiblement orientées en vue d’obtenir des résultats rassurants, qui permettront aux commanditaires (le Conseil fédéral) ou d’autres groupes intéressés de faire passer le message «il peut exister de bons OGM». Et vos interventions lors des deux manifestations devant le champ nous ont confirmé qu’il ne fallait pas vous laisser le bénéfice du doute. Elles ont montré que vous entretenez l’illusion d’une science neutre et objective, se traduisant entre autres par votre mépris du travail d’un chercheur parce qu’il est critique: «On connaît bien l’opinion de Séralini2 depuis 1999,sur les OGM». Ce qui signifie que, puisqu’il y est opposé, on n’a pas à prendre en compte ses observations.

– Vous dites qu’on aura les OGM qu’on mérite si on ne vous laisse pas faire, vous présentez la recherche publique suisse comme un rempart contre les multinationales américaines et leurs mauvais OGM. Nous disons que les multinationales d’ici n’ont rien à envier à celles de là-bas en termes d’exploitation et de mensonge, que l’argument nationaliste a trop souvent servi à masquer l’iniquité du pouvoir local, et qu’on ne nous y trompera pas.

Nous savons aussi qu’aujourd’hui, le partenariat public-privé est la norme dans la recherche, et que si le financement public sert de garant à des recherches voulues par les firmes privées, on ne saurait parler de recherche publique indépendante. Comme le Conseil fédéral l’a confirmé en réponse à une interpellation parlementaire, c’est bien ce qui se passe avec le PNR 59, et cela n’a en tous cas pas pour effet de nous «rassurer».

Et quand bien même le financement serait entièrement public, il resterait que ce sont des firmes privées qui déposeront des demandes d’autorisation pour commercialiser les semences génétiquement modifiées. De toute manière, les garanties (environnementales, sanitaires, juridiques, etc.) octroyées par l’Etat concernant cette technologie, si on admettait qu’elles fussent valables, ne satisferont pas notre revendication fondamentale d’autonomie paysanne en matière de semences.

– Vous dites que la population suisse a voté pour que vos recherches aient lieu. Rappelons que les votant-e-s ont eu le choix entre un moratoire sur la production et la commercialisation des OGM autorisant la recherche ou pas de moratoire du tout. La population n’a ni pu se prononcer sur un moratoire sans recherche, ni sur une interdiction permanente des OGM.

Rappelons aussi que le comité d’initiative StopOGM a dénoncé ces essais en plein champ, considérant que ce n’est pas cela que les votant-e-s ont demandé. Ils et elles ont encore moins demandé des études de marché, des études sur les seuils économiquement acceptables de tolérance à d’inévitables contaminations, ni des études sur la manière d’influencer leur opinion, qui sont toutes incluses dans le PNR 593.

Nous avons appris de la lutte anti-nucléaire qu’un moratoire peut créer une situation où les luttes s’endorment pendant que l’industrie et l’Etat mettent en oeuvre les moyens pour préparer l’acceptation de leur programme à la sortie du moratoire. Il est très clair pour nous qu’avec ce moratoire sur les OGM et ce programme de recherche, c’est ce qui est en train de se passer. Nous n’approuvons pas le comité d’initiative qui s’est affiché favorable à la recherche lors de la campagne de votation. Nous nous rangeons du côté de celles et ceux qui ont simplement voulu dire «non aux OGM» en acceptant l’initiative, et qui se sont fait berner.

– Vous vous plaignez que lorsque les scientifiques jouent la transparence, on les incrimine autant que lorsqu’ils ne communiquent pas sur leurs recherches. Nous ne sommes pas dupes sur l’ambiguïté de la vulgarisation scientifique, qui peut jouer deux rôles bien distincts: soit permettre la reprise en main du débat et des choix par la population, soit susciter l’approbation soumise de cette population. Tant qu’on n’assume pas la réalité selon laquelle la science n’est jamais neutre et objective, la compréhension des enjeux liés à la science est biaisée. Balancer à la populace «Faites confiance aux chercheurs!» montre sans doute le désir du vulgarisateur: obtenir une approbation aveugle.

Quand, comme dans le cas des PGM (plantes génétiquement modifiées) en Suisse, il y a indéniablement des intérêts commerciaux en jeu – puisqu’il s’agit d’ouvrir ou non le marché à une nouvelle technologie –, nier que les résultats des recherches sont voués à devenir un instrument politique revient à cacher la m… au chat.

Oui les lobbies existent, oui ils sont influents, oui ils pratiquent des stratégies de communication manipulatrices envers les parlementaires et le public, non ce n’est pas une théorie du complot paranoïaque. On les voit agir dans le documentaire Mais im Bundeshuus («Le génie helvétique») de Jean-Stéphane Bron, on les a vus agir lors des votations sur le nucléaire en 2003, chaque année la presse enquête sur leur influence, etc. Non seulement les exemples sont multiples, mais c’est la logique même de la représentation politique qui implique qu’un pouvoir concentré soit la cible de groupes d’intérêts.

Quand un groupe d’intérêt veut manipuler l’opinion publique à son insu, il peut choisir une stratégie grossière – mentir – ou alors une stratégie subtile – informer sélectivement, orienter le débat public de manière à ce que les questions dérangeantes soient évitées. A plusieurs reprises, Monsanto a menti effrontément, par exemple en truquant des études scientifiques ou en invoquant le secret industriel pour ne pas divulguer des études tout en mentant sur leur contenu: c’est la stratégie grossière.

Ici, les feux de la rampe sont braqués sur les questions scientifiques liées à la dissémination, ce qui évite de placer la question des OGM dans le contexte du productivisme en matière alimentaire et de la concentration des terres agricoles. On étudie des risques, certains risques de certaines variétés de PGM, liés à la dissémination dans l’environnement mais pas à la consommation, tout en étudiant sociologiquement les méthodes pour influencer l’opinion publique. Et on fait de la communication publique, de la vulgarisation, notamment à la radio, où l’on présente les études (partielles) des risques environnementaux sans mentionner les études sociologiques en cours. On se contente de faire de la vulgarisation scientifique. Au niveau politique, l’Etat décide de la prolongation du moratoire pour ne pas avoir à se prononcer avant d’avoir les résultats des essais, comme si toute la légitimité des OGM était suspendue à ces résultats. Voilà pour la mise en scène.

Mais quand on s’attarde sur le contenu des recherches du PNR 59, notamment sur les volets juridiques, économiques et sociologiques, on voit que presque tout est orchestré pour préparer l’introduction des PGM sur le marché suisse. Dans le fond, ce programme de recherche national élude les enjeux liés au contrôle du marché des semences, à l’arme alimentaire que représente ce contrôle.

Rappelons que le gouvernement qui a commandité le programme de recherche veut aussi réduire de moitié le nombre d’exploitations agricoles pour les rendre plus concurrentielles (Politique Agricole 2011). Que Syngenta, qui produit des OGM, est une multinationale suisse et qu’on n’a jamais vu un gouvernement qui ne défendait pas les intérêts des ses grandes entreprises. Que le pays de Syngenta bannisse les OGM, ça donnerait une mauvaise image, un mauvais signal au marché. Comment faut-il le dire? Le Conseil fédéral est clairement favorable aux OGM et il a commandité le PNR 59. Il a décidé de mettre en oeuvre une stratégie subtile de manipulation, où la vulgarisation scientifique et le statut de l’expert ont un rôle prépondérant.

– Vous dites qu’on a les politiciens qu’on mérite, que les manifestations de quelques opposant-e-s ne vont rien changer. Votre conception de la démocratie transparaît dans vos propos, elle repose sur la délégation de tous pouvoirs à des politiciens qu’on ne saurait remettre en cause. A travers eux-elles, la «majorité» qui les a portés au pouvoir aurait raison, donc les minorités n’auraient qu’à se taire. Il s’agit néanmoins de gagner la confiance de cette majorité passive, gage de légitimité de l’introduction des PGM en Suisse.

Nous assumons appartenir à une minorité critique et active, consciente que le jeu démocratique n’est qu’un spectacle quand c’est l’économie qui dicte sa loi. Plus intègre peut-être que le brave soldat que vous êtes qui ne fait que son travail, et qui en rajoute même en faisant des public relations le dimanche.

Vous ne supportez pas qu’on vous accuse de complicité avec les industriels, vous considérez cela comme une insulte. Oui, vous êtes complice («participant, aide, auxiliaire d’une action répréhensible commise par un autre»), et votre soi-disant transparence transpirant l’arrogance fait de vous un mystificateur («qui trompe, participe d’une tromperie collective, en abusant de la crédulité d’autrui»). Vous resterez l’un et l’autre tant que vous assumerez votre mandat au sein du PNR 59. I

* Groupe suisse d’opposition aux OGM, auteur de la brochure «Pourquoi nous disons NON aux OGM» et au programme national de recherche PNR 59. Le collectif a participé en mai 2009 à la caravane cycliste «Karawane pour une agriculture prospective et souveraine en opposition aux OGM».

1 Arrivé à échéance en novembre 2009, le moratoire sur l’utilisation d’OGM dans l’environnement à des fins commerciales, adopté par le peuple en 2005, a été prolongé jusqu’à fin 2013 par les chambres fédérales, ndlr.

2 Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire et spécialiste des OGM, préside le Conseil scientifique du CRII-GEN-Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique, en France, ndlr.

3 Cf. le site du PNR 59: www.nfp59.ch/f_index.cfm.

Opinions Contrechamp Collectif «action Généreuse Contre Les Chimères transgéniques»

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