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LA FICELLE ÉTAIT ÉNORME

MINARETS – Au lendemain du plébiscite de l’initiative anti-minarets, les milieux antiracistes et leurs soutiens lancent un appel de solidarité avec les musulmans. Pour Karl Grünberg, d’ACOR SOS Racisme, la propagande des initiants renvoie aux heures les plus sombres de la Suisse des années trente.

«Nous ne sommes pas racistes, nous combattons l’islamisation rampante.» Les islamophobes ont tiré sur une énorme ficelle et la Suisse s’est réveillée lundi matin avec la gueule de bois. Une très large majorité de citoyen-ne-s suisses – 57,7% – a voté l’interdiction de construire des minarets que revendiquaient, avec le soutien de l’UDC, des politiciens islamophobes. L’opinion publique internationale découvre avec effroi cette Suisse xénophobe que nous connaissons bien.
Les moutons noirs avaient écoeuré. L’inscription d’une disposition antimusulmane dans la loi stupéfie. Depuis des années les identitaires européens font de l’islamophobie leur cheval de bataille. La Suisse qu’ils découvrent aujourd’hui leur donne des ailes. Du Vlaams Belang à la Lega Nord, elle ouvre l’appétit aux nationalismes xénophobes. Empêtré dans son débat sur l’identité nationale. Sarkozy n’en demandait pas tant.

Le vent du boulet en a décoiffé plus d’un. Mais qui l’a tiré, où est-il tombé? De nombreux commentaires attribuent ce résultat à une information insuffisante sur les musulmans en Suisse, à une démystification insuffisante des peurs qu’ils soulèveraient.

Oui, dès demain toutes celles et tous ceux qui sommes engagé-e-s dans la lutte contre le racisme et les discriminations, nous ne pourrons pas nous limiter à combattre la peur qu’éprouveront de nombreux musulmans. Nous devrons mettre un accent tout particulier sur la lutte contre cette peur qui a conduit de nombreux-se-s citoyen-ne-s à soutenir une disposition raciste.

Mais qui donc, sinon des politiciens racistes et xénophobes, a patiemment, systématiquement, alimenté ces peurs en manipulant les rumeurs et les fantasmes? Mais pourquoi la majorité de la classe politique ne s’est-elle pas explicitement attaquée à ce racisme? Pourquoi ne l’a-t-elle pas clairement dénoncé? Faut-il reconnaître une part de responsabilité?

La globalisation de l’économie mondiale ébranle les Etats et les sociétés. Dans le monde entier se développe la conviction que les identités nationales, culturelles ou religieuses constitueraient des obstacles à l’avance de son rouleau compresseur.

Qu’il surgisse dans le monde musulman ou dans l’occident dominateur, le fantasme du clash des civilisations en est le fruit. La défense de valeurs universelles et le développement de nouvelles solidarités sont évidemment nécessaires.

Le syllogisme identitaire d’Oskar Freysinger, conseiller national UDC, est évocateur: «L’islam est milliardaire. Cette ‘puissance étrangère’ grouille de pauvres, cache des terroristes. Les musulmans ‘nous’ envahissent. Chacun connaît un camarade de classe, un voisin, un collègue musulman… En Suisse, l’islam ne pose apparemment aucun problème: c’est précisément la preuve du danger qu’il représente. Il faut interdire la construction de minarets pour ‘leur’ montrer qu’on n’est pas dupe.» La ficelle était énorme. Comment se fait-il qu’un tel truc ait pu marcher?

Cette propagande hélas a très bien marché dans le passé. Et pas seulement en Allemagne. En Suisse, les juifs ont dû attendre 1867 pour obtenir l’égalité des droits. Le droit d’initiative date de 1892 et la première initiative antisémite, de 1893. La Loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE, l’ex-LEtr) légalisera dès 1931 la lutte contre «l’enjuivement».
– La manipulation: Le musulman (le juif) ressemble à Madame ou Monsieur tout le monde et voilà bien la preuve qu’il se cache, qu’il dissimule l’âme noire que dévoile la caricature! Le racisme, faut-il le rappeler, est «la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression». (Albert Memmi, 1964).

– Déguiser la victime en agresseur: Malheureusement la lutte pour le contrôle des ressources en gaz et en pétrole conduit l’Occident à multiplier dans le monde arabo-musulman (Afghanistan, Irak) des guerres que son rapport à la Palestine conduit Israël à soutenir. Au XIXe siècle, la diffusion du christianisme et du progrès avaient été brandies pour justifier le pillage colonial. Celui-ci se réclame aujourd’hui de la démocratie et du droit des femmes.

– Insécurité réelle et prétendu «sentiment d’insécurité»: La peur du chômage et de la régression sociale, mais aussi l’incertitude face à l’avenir se déclinent de plus en plus sur le mode de l’insécurité… Les partis gouvernementaux acceptent ces désastres comme une fatalité sans les combattre. Tous accusent un bouc émissaire: le mendiant, le réfugié, le délinquant étranger multirécidiviste, le Rom, le Maghrébin… le musulman. CQFD. I

* ACOR SOS RACISME

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