DES COMMIS MALINTENTIONNÉS
L’histoire des patronymes injurieux n’est pas très documentée. «En 1848, au moment de l’abolition de l’esclavage, il fallait donner un nom de famille à 170 000 affranchis pour pouvoir les inscrire dans l’Etat civil et leur fournir un acte d’identité, explique Philippe Chanson, aumônier à l’Université de Genève. Pour le reste, il faut se borner à reconstituer la scène de la façon la plus probable qui soit. Une histoire-fiction que l’écrivain martiniquais Edouard Glissant a qualifiée de vision prophétique du passé.»
D’un côté, on trouve les anciens esclaves, presque tous analphabètes. Tous ne saisissent pas l’importance de la procédure et doivent craindre l’administration. De l’autre sont assis les commis de mairie, pas tous habités de bonnes intentions. Ils sont chargés d’enregistrer leur déposition. L’opération devait être bouclée en trois mois. Elle a duré près de dix ans.
Si certains affranchis viennent avec un nom écrit par leur ancien maître sur un papier, c’est souvent le commis lui-même qui doit en trouver un. Il n’a pas le droit d’utiliser des patronymes en usage en France métropolitaine. Il s’aide donc de listes (noms bibliques, géographiques, topographiques, de métiers, d’objets de la vie quotidienne, etc.). Parfois il cède à l’énervement et baptise Passavoir celui qui ne peut répondre à ses questions. On suspecte aussi certains de manifester leur mépris pour les anciens esclaves par un dernier abus de pouvoir. AV