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EN GRÈVE CONTRE LES «HOMICIDES DU TRAVAIL»

TURQUIE – Sur les chantiers navals de Tuzla, près d’Istanbul, des ouvriers étaient en grève le 16 juin dernier contre les accidents du travail. Par leur mobilisation, ils mettent directement en cause le système de sous-traitance et d’emploi précaire, à l’origine de la multiplication d’accidents souvent mortels.

La Turquie connaît un développement sans précédent de la construction navale. Au 23erang mondial en 2002, ce pays revendique en 2008 la 4eplace pour la construction de navires. La production turque ne représente encore que moins de 5% de la production mondiale, loin derrière la Corée du Sud, le Japon et la Chine, mais constitue un apport considérable pour l’économie nationale. Une main d’oeuvre à faible coût à proximité de l’Europe est l’un des principaux atouts des chantiers navals turcs. La croissance de cette industrie repose en effet sur des rapports de travail informels qui permettent une exploitation maximale des ouvriers[1].

Au cours de la dernière année, la baie de Tuzla, située dans la banlieue d’Istanbul, est devenue tristement célèbre pour ses accidents mortels. Cette zone concentre la majorité de la construction navale turque. Les chantiers navals n’y emploient directement que 5000 ouvriers et la production repose en fait sur un système de sous-traitance. Les entreprises propriétaires des chantiers navals délèguent le travail à des centaines de petites entreprises. Celles-ci recourent à une main d’oeuvre précaire estimée à plus de 25000 ouvriers[2] et constituée pour une part de migrants venus de régions pauvres de la Turquie. Le système de sous-traitance permet aux entreprises donneuses d’ordre de se libérer de leur responsabilité par rapport aux conditions de travail et de faire baisser le coût de la main d’oeuvre. Les sous-traitants engagent des travailleurs à la journée, sans sécurité sociale et dans des conditions d’hygiène et de sécurité désastreuses.

«Les ouvriers sont tués par le travail dans l’urgence, pas par le manque de casques»

Conséquences directes des conditions de travail, les accidents et maladies professionnels se sont multipliés ces dernières années. Ce sont finalement les accidents mortels, toujours plus fréquents, qui ont attiré l’attention sur les conditions de travail et de vie à Tuzla. Au cours des seuls douze derniers mois, 27 ouvriers y ont été tués, notamment par des chutes, des électrocutions et des explosions.

Les ouvriers de Tuzla se mobilisent depuis plus d’une année contre ce qu’ils nomment désormais des «homicides du travail». Cette expression est employée à dessein pour dénoncer la responsabilité des entreprises, sous-traitantes mais aussi donneuses d’ordres, dans la survenue des accidents. Comme le souligne la chercheuse Asli Odman, co-auteure d’un rapport sur la situation à Tuzla, c’est en effet la recherche du profit à tout prix qui provoque ces accidents: «Les ouvriers sont tués par le travail dans l’urgence, pas par le manque de casques.»[3] Le rapport fait aussi état des effets néfastes de la flexibilité des horaires – certains accidents mortels sont survenus le dimanche– et relève que l’intervention de multiples entreprises sur un même site ne permet pas aux ouvriers de collaborer pour assurer leur sécurité.

* Psychologue sociale, Isabelle Probst collabore actuellement à une recherche sur les accidents du travail à l’Ecole d’études sociales et pédagogiques à Lausanne. Contact: Isabelle.Probst@unil.ch

[1] Sources de l’article: les quotidiens turcs Today’s Zaman et Turkish Daily news, le syndicat Limter-is.

[2] De plus, environ 50000 ouvriers travaillent dans les ateliers des fournisseurs de la région, également dans des rapports de travail informels.

[3] http://www.bianet.org; Rapport de la commission d’enquête sur la zone des chantiers navals de Tuzla (Syndicat Limter-is, Union des chambres des ingénieurs et architectes turcs, Chambre des médecins d’Istanbul, Institut de santé au travail d’Istanbul).

LEGENDE COMMUNE POUR LES DEUX PHOTOS :