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SALARIÉS, SANS PAPIERS ET EN GRÈVE

FRANCE – Le mouvement actuel des salariés sans papiers met en question la politique d’immigration du gouvernement français et le travail des immigrés sans autorisation. Analyse de deux sociologues et d’une journaliste.

Mardi 15 avril 2008 au matin, trois cents travailleurs sans papiers se mettent en grève simultanément sur une douzaine de sites en région parisienne: entreprises de nettoyage, restaurants, magasins, chantiers de démolition. Un mois plus tard, ils sont plus d’un millier répartis sur une trentaine de sites. Epaulés par la puissante CGT, les syndicats Solidaires, CNT et l’association de soutien aux sans-papiers Droits Devants!!, ils demandent leur régularisation. Cette grève coordonnée est la première de l’histoire du pays. En quelques semaines, elle a relégué au second plan une actualité dominée par les rafles et les expulsions et mis sur le devant de la scène les immigrés en tant que travailleurs.
Depuis le retour de la droite au pouvoir en 2002, la répression à l’encontre des sans-papiers s’intensifie. Alors que le nombre d’expulsions n’était que de 10 000 en 2003, il a atteint près de 24 000 l’année dernière. Les contrôles dans les entreprises sont de plus en plus fréquents et les sans-papiers trouvent plus difficilement à s’employer. Sékou, 38 ans, travaillait ainsi comme couvreur depuis 1996: «Dans le bâtiment, il y a du travail partout. Mais maintenant les patrons ne peuvent pas te prendre s’ils n’ont pas vérifié tes papiers. Ils envoient tes papiers à la police et ensuite ils refusent de te prendre. Certains patrons sont obligés de refuser des chantiers parce qu’ils manquent de main-d’oeuvre.»

Les licenciements pour défaut d’autorisation de travail sont également de plus en plus nombreux. «Début 2007, il y a eu un premier licenciement dans mon entreprise, explique au premier jour de la grève Moussa Traoré, qui travaille chez Veolia1 depuis dix ans comme rippeur (éboueur, ndlr). Depuis ils virent les sans-papiers un par un, quand ils trouvent un remplaçant. Si on ne bouge pas, ils vont rapidement faire le ménage.»

La loi du 20 novembre 2007 facilite l’accès à 150 métiers dits «en tension» pour les seuls ressortissants des nouveaux Etats de l’Union Européenne, et n’ouvre aux non communautaires qu’une liste de 30 métiers hautement qualifiés, spécifiés selon les régions. Or, ces derniers («informaticien expert», «attaché commercial», etc.) sont bien loin des emplois aujourd’hui effectivement occupés par les sans-papiers africains ou asiatiques. I

* Sébastien Chauvin est sociologue au Centre Maurice Halbwachs (CNRS-ENS-EHESS). Nicolas Jounin est sociologue à l’université Paris 8 Saint-Denis et auteur de Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment. Lucie Tourette est journaliste.

1 Leader mondial des «services à l’environnement», Veolia est active dans la gestion de l’eau, des déchets, de l’énergie et des transports de voyageurs.