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Des régularisations… temporaires

Les premières grèves de sans-papiers avaient eu lieu en région parisienne dans les entreprises Modelux (octobre 2006), Métal Couleur (mars 2007) et Buffalo Grill (juillet 2007), appuyées par l’Union locale CGT de Massy et son secrétaire Raymond Chauveau. Suite à ces premières grèves très médiatisées, de plus en plus de sans-papiers affluent dans les permanences syndicales, souvent à l’occasion d’un licenciement. Les revendications ont pris une ampleur nouvelle grâce au poids politique des organisations de salariés. «Les associations peuvent protéger les sans-papiers en tant qu’exclus, explique Maryline Poulain, coordinatrice du groupe Sans-papiers… et travailleurs! du collectif Uni-e-s Contre l’Immigration Jetable. Mais les syndicats sont légitimes pour défendre leurs droits de travailleurs et montrer qu’ils sont déjà inclus dans la société.»
La nouvelle campagne syndicale met en relief des faits qui n’étaient jusque là connus que d’une minorité: la quasi-totalité des immigrés sans papiers travaillent; beaucoup ne travaillent pas au noir mais chez des employeurs qui ont pignon sur rue; ces emplois «illégaux» peuvent être déclarés et donner lieu à versement de cotisations sociales. Quoique précaires, les travailleurs sans papiers sont gardés durablement par les mêmes employeurs, au besoin en changeant d’identité. Ils n’y restent pas nécessairement dans les échelons les plus bas de la hiérarchie et peuvent bénéficier d’augmentations, ou encore obtenir des congés payés. Mais ces «droits» restent bridés par leur statut de sans-papiers, qui les soumet davantage au bon vouloir de leur employeur.

Ces éléments d’intégration concernent également la protection sociale. Les sans-papiers en grève cotisent auprès de divers organismes au même titre que tout salarié. En France, c’est une carte d’identité électronique, la «Carte Vitale», qui atteste l’affiliation à la sécurité sociale et permet l’accès aux prestations. Qu’ils utilisent la carte d’une autre personne, ou qu’ils aient obtenu une carte à leur nom, les sans-papiers sont nombreux à effectuer des versements, mais beaucoup moins à percevoir les prestations correspondantes. C’est le cas de Bakary: «J’ai une Carte Vitale, mais quand j’ai eu des problèmes de santé, je n’ai pas demandé à me faire rembourser parce que j’ai eu peur de me faire contrôler. Quelques semaines auparavant, un ami a demandé à se faire rembourser, et la Sécu lui a demandé d’apporter un relevé d’identité bancaire et sa carte d’identité. Je lui ai conseillé de ne pas y aller.»

La lutte elle-même est pour beaucoup de travailleurs sans-papiers l’occasion de découvrir les droits dont ils jouissaient déjà en France par le seul fait d’avoir un emploi: droit au salaire minimum, au repos hebdomadaire, aux indemnités de licenciements, droit à réclamer les salaires impayés ou de poursuivre leur employeur aux prud’hommes. Les grévistes ne se présentent plus comme des «sans-droits» mais comme des salariés qui ont déjà des droits, et qui réclament en quelque sorte le «reste».

Parmi les droits auxquels ouvre automatiquement le travail, il y a le droit de faire grève. Les pouvoirs publics peuvent envoyer les CRS sur une grève de la faim, mais plus difficilement sur une grève syndicale avec occupation d’entreprise. Pour les sans-papiers grévistes, c’est souvent une découverte. «Le premier soir d’occupation, notre patron a téléphoné à la police, témoignent ceux du restaurant «Chez Papa» dans le Xe arrondissement parisien. Vingt policiers sont arrivés. On avait très peur. Mais les délégués syndicaux nous ont expliqué qu’on avait le droit d’occuper notre lieu de travail et qu’il fallait un référé de justice pour nous évacuer.»

Le discours des grévistes sur leurs patrons n’est pas uniforme. Mamadou, un gréviste qui conduit depuis trois ans sans permis des mini-pelles et des bulldozers sur des chantiers, trouve son employeur portugais «sympa». Il est déjà parti en week-end à Lisbonne avec lui. Mais il s’est tout de même mis en grève, car son absence de papiers est devenue trop problématique: suite à un contrôle d’identité, son patron, trois collègues et lui se sont retrouvés en garde à vue. Le patron a alors déclaré: «Tous ceux qui n’ont pas de papiers, vous allez arrêter de travailler.» Mamadou décrit ainsi un chef d’entreprise pris au dépourvu, conseillant à ses employés d’aller chercher de l’aide auprès des syndicats. Samba, 32 ans, est, lui, beaucoup plus remonté contre son employeur: «Notre patron nous traite comme des chiens. Il nous dit: ‘T’as pas de papiers, tu fais ce que je te dis ou je te vire. La porte est ouverte, il y a d’autres travailleurs qui attendent.’ Quand il m’a embauché, il m’a dit qu’il savait que mes papiers étaient faux, mais qu’il s’en foutait.»

Pris au dépourvu, certains employeurs se sont déclarés solidaires des grévistes, invoquant le manque de main-d’oeuvre dans leur secteur et le savoir-faire de leurs travailleurs. Les syndicats patronaux de l’hôtellerie et de la restauration ont réclamé la régularisation des salariés sans papiers embauchés avant juillet 2007. Les syndicats du bâtiment et du nettoyage ont été plus discrets. Le MEDEF (la faîtière des syndicats patronaux, ndlr.) est resté muet.

Pour l’instant, une centaine seulement de grévistes ont obtenu leur régularisation. Mais les titres de séjour sont des cartes «salarié». Les personnes concernées pourront certes vivre un peu plus sereinement, mais si elles changent d’employeur, de branche ou de région, si elles démissionnent, si elles sont licenciées et épuisent leurs droits aux indemnités chômage, elles risquent de se voir refuser un renouvellement de leur droit au séjour dans un an et ainsi redevenir sans papiers.

SC, NJ ET LT