Contrechamp

«Consentante: ne se dit guère que des femmes»

CONFÉRENCE – Dans le débat sur la liberté et l’égalité des genres, le «consentement» constitue un argument politique, selon la philosophe Geneviève Fraisse.

A l’orée de notre ère moderne, Pascal éclaire l’acte de consentir d’un mouvement «de vous à vous-même» qui nous dit déjà tout: la volonté d’un être à la recherche d’un accord à l’intérieur de lui-même au moment d’énoncer l’accord avec l’autre. S’ouvre, en effet, le temps de l’appropriation du consentement comme signe de soi: «j’y consens» deviendra «je consens», «j’accepte» signifiera aussi «je choisis»; et ainsi la liberté l’emportera sur l’autorité.
Avec la démocratie, le consentement devint, en effet, «mutuel» comme on dit, pour le mariage, et surtout pour le divorce. Cependant, la mutualité des «oui» et des «non» entre hommes et femmes est une évidence qui ne nous fera pas oublier la dissymétrie encore affirmée par les dictionnaires: «consentante: ne se dit guère que des femmes».

Ainsi persiste le débat sur la liberté et l’égalité des sexes, tout en annonçant la polémique à venir qui est désormais la nôtre: peut-on faire du consentement un argument déterminant dans nos décisions publiques et nos comportements sociaux, pour le port du foulard ou l’exercice de la prostitution par exemple? En bref, est-ce un argument politique? Un argument politique suppose l’inscription de cet argument dans la représentation d’un monde commun et d’une histoire à venir. Pouvons-nous donc nous contenter d’additionner les libertés individuelles?

En admettant que nous prouvions le bien-fondé politique de cet argument, une «éthique» du consentement, souvent invoqué comme l’organisation sociale des garde-fous d’une sexualité, ou d’une posture liée au sexe, serait-elle suffisante? Pourrions-nous nous satisfaire d’une question sur l’authenticité du consentement, sur sa transparence supposée possible ou impossible?
Ni l’éthique ni l’identité ne sont des espaces suffisants pour la réflexion. Le politique requiert autre chose que des règles de bonnes pratiques, et des soucis de définition de soi. Le politique mêle l’individuel et le collectif. Or le mot «consentement» dit aussi bien le geste individuel que l’attitude collective. Alors le politique surgit autrement, dans la tension entre émancipation et domination: dire «oui» ou «non» est un acte de liberté; dire ni «oui», ni «non» peut être une attitude de soumission. Que fait-on du consentement des dominés, et du consentement des dominants à la hiérarchie, à l’inégalité et à toutes sortes de choses socialement désagréables?
Mes deux exemples, port du foulard et exercice du métier de prostituée, ont été volontairement choisis pour mêler les questions, loin de la religion et de la morale. Ce sont des pratiques qui n’engagent pas qu’elles-mêmes; elles revendiquent, autant que leurs adversaires, la liberté des femmes et l’égalité des sexes. En ce sens, l’affaire n’est ni privée, ni individuelle. Elle est bien politique. Consentir: «sentir ensemble»? I

* Directrice de recherche au CNRS (Centre national français de la recherche scientifique), ancienne déléguée interministérielle aux droits des femmes et ancienne députée européenne, Geneviève Fraisse était à Genève le 10 mars dernier pour une conférence autour de son livre Du Consentement (Paris, Seuil, 2007), dans le cadre du cycle de conférences publiques organisé par les Etudes Genre de l’Université de Genève.

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