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«LETTRE À UN JEUNE SURVEILLANT»

«Il est 6 h 45, tu viens de prendre ton service. Tu ouvres la porte de la première cellule et tu comprends que tu vas t’en prendre plein la tête. Toutes les haines, toutes les peurs, toutes les frustrations de la nuit, c’est toi qui va les cristalliser.

Tu dois entrer dans la cellule. Vérifier que tout le monde est là et bien en vie. Hier, ils ont épuisé la nuit en regardant la télé jusqu’au bout des programmes, entrecoupés d’engueulades autour de la télécommande. Tu dois les réveiller un à un, précise le règlement.

Tu n’entres pas dans la cellule. Tu comptes les silhouettes de loin, trois sur les lits en fer superposés, le quatrième par terre, en travers d’un matelas. C’est le plus faible. Il balaye et prend les baffes.

[…] Depuis un an, tu as un nouvel uniforme, polo bleu marine, chaussures montantes. Tu ressembles à un policier municipal. On t’appellera «Lieutenant» quand tu seras promu. C’est nouveau aussi. Tu adores ça. Tout s’est réfugié dans le sécuritaire, faire des fouilles, chercher du shit et des portables, répéter les techniques d’intervention. Quand tu es de service le soir, tu préfères aller t’entraîner au gymnase que faire des bouffes et picoler entre collègues, comme on le raconte des anciens.

En 2000, à Nantes, on se mettait en grève quand le nombre de détenus montait à 340 pour 291 places. On en est à 400 aujourd’hui, personne ne bouge. A ce niveau-là, tu peux juste gérer un grand merdier.

[…] Quand le mec arrive en face de toi, il faut apprendre à le comprendre très vite. On ne peut pas mixer les Maghrébins et les gens du voyage, ni même les loulous des différentes cités, ceux de Bellevue ou de Malakoff. Si on ne fait pas de ségrégation, ça part au drame.

[…] Le fait est – et rien n’a jamais contredit cette vérité-là – que plus la pénitentiaire construit de places, plus on emprisonne de gens. On a vu passer tous les gouvernements, toutes les couleurs politiques, mais pour nous ça va toujours dans le même sens. […] Tous les jours, tu vas aller au travail, faire la même chose dans les mêmes conditions. Tu finiras par avoir comme moi cette sensation de participer à quelque chose en laquelle tu ne crois plus.» I

* Texte extrait de 9 m2, Actes Sud/Le Cadratin, avec notamment: Nancy Huston, Marie Desplechin, Karelle Ménine, Cabu, Jacques Tardi, Raymond Depardon, Ernest Pignon-Ernest, Didier Daeninckx… Préface de Bernard Bolze.

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